Pourquoi ce blog et comment le lire ?

Cette page, qui n'a pas la prétention d'être exhaustive, est un hommage rendu aux hommes du 36e régiment d'infanterie que mon arrière-grand-père, Fernand Le Bailly, a côtoyés, parfois photographiés pendant la Première Guerre mondiale. Elle souhaite conserver et transmettre leur souvenir. Elle est conçue à partir de témoignages, d'écrits et d'archives personnels qui m'ont été envoyés, en partie par des descendants de soldats du 36e. Elle est aussi un prétexte pour aller à la rencontre d'"invités" – historiens, passionnés de la Grande Guerre, élus, écrivains... – qui nous font redécouvrir aujourd'hui ce titanesque conflit. Elle est enfin un argument pour découvrir tous les prolongements de ce gigantesque conflit dans le monde d'aujourd'hui.
Comment consulter cette page ? Vous pouvez lire progressivement les messages, qui ne respectent pas un ordre chronologique (ils évoquent, par exemple, l'année 1915 ou 1914). Vous pouvez aussi avoir envie de vous attarder sur une année ou un secteur géographique : pour cela, cliquez dans la colonne à gauche dans la rubrique "Pages d'histoire du 36e" sur la période et le lieu qui vous intéressent. Tous les messages seront alors rassemblés pour vous selon l'ordre de publication.
Comment rentrer en contact ? Pour de plus amples renseignements sur ce site, ou me faire parvenir une copie de vos documents, vos souvenirs ou remarques, écrivez-moi. Mon adresse : jerome.verroust@gmail.com. Je vous souhaite une agréable lecture.

Avertissement : Si pour une raison quelconque, un ayant-droit d'une des personnes référencées sur ce site désire le retrait de la (les) photo(s) et des informations qui l'accompagnent, qu'il me contacte.

21 mai 2013

Les invités du 36e : Michel Rouger et Léon Vivien. L’homme de Meaux et l’homme de mots

Michel Rouger, directeur du musée de la Grande Guerre de Meaux. (Photo DR)
Un mois et demi après le lancement de la page Facebook de Léon Vivien - ce poilu de fiction qui raconte quotidiennement son expérience du front en direct des années 1914-1915 -, Michel Rouger, directeur du musée de la Grande Guerre de Meaux, revient sur la genèse et les intentions du projet.

Comment est née l’opération Léon Vivien ?
A l’occasion de notre premier anniversaire [novembre 2012, NDR], l’agence de publicité française DDB, dans le cadre d’un mécénat, nous avait offert une campagne de communication, déclinée en huit visuels, basée sur des photos de la collection du Musée de Meaux. En 2013, l’agence a récidivé et nous a proposé de faire un “Facebook 1914”. L’idée nous a été donnée et, en deux minutes, nous avons été immédiatement conquis. Cette initiative était une nouvelle fois le prolongement de notre travail au musée. Et puis j’aimais particulièrement la confrontation d’un outil d’aujourd’hui avec un événement qui s’est déroulé il y a cent ans.

Quelle dimension du conflit souhaitiez-vous transmettre ?
Plus qu’une “dimension” du conflit, notre but principal était de parler du conflit au plus grand nombre, d’avoir une approche sensible de la Première Guerre mondiale, à hauteur d’homme. Avec Léon Vivien, nous n’étions pas dans une vision “aérienne” du conflit. Il s'agissait indiscutablement de faire écho au travail que nous nous nous efforçons de faire au musée de Meaux. Notre volonté n'était donc pas de faire un “coup” marketing... De même, le choix d'un poilu instituteur était volontaire. Il s’agissait d’avoir, à un moment donné, un regard un peu critique à l’égard de ce conflit et d’en démontrer toute son absurdité.

Combien de personnes ont travaillé sur cette opération ?
Elle a mobilisé plusieurs intervenants. A l’agence DDB, elle réunissait deux créatifs : un sur l’écriture, l’autre sur la création artistique. Du côté du musée de Meaux, nous avions une coordinatrice du projet, une documentaliste, un webmaster et une personne du service conservation. Toute l’opération a été écrite au préalable. Une première version du témoignage a été produite par l'agence au terme d’une immersion complète dans les témoignages et les archives. Sur ce premier jet, j’ai fait trois ou quatre relectures complètes, avec Jean-Pierre Verney, l’historien qui a vendu sa collection d’objets au musée. Nous avons, entre autres, corrigé les faits historiques qui n’étaient pas fidèles. Nous avons, enfin, fait un gros travail sur la sélection des images les plus pertinentes, notamment sur la période concernée.

Pourquoi avoir justement choisi cette période 1914-1915, qui englobe le début de la guerre et les grandes offensives ?
C'était délibéré. Cela nous permettait, en premier lieu, d'insister sur l’ignorance qu’ont les soldats sur la durée que va prendre le conflit. Et l’on souhaitait également faire le lien avec l’arrière. C’est la raison pour laquelle Léon ne part pas immédiatement sur le front. Cela permet de suivre sa formation, sa période d’instruction...

L’idée de reprendre un vrai témoignage ne vous a-t-elle pas séduit ?
Non. Pour plusieurs raisons. Nous avons bien ce type de témoignage au musée, dans nos collections... Mais nous n’avions pas forcément les photos pour “nourrir” le témoignage. Car cette opération était aussi un moyen de valoriser nos collections et de les faire vivre. En outre, comment faire pour aborder autant de thèmes que nous le souhaitions : la camaraderie, la vie et la mort dans les tranchées, la peur, etc. ? Et puis, comment pouvait-on se permettre à partir d’un témoignage authentique d’”inventer” une femme, une mère, des amis, etc ?  D’un point de vue moral, cela me gênait énormément. A sa manière, Léon incarne un peu ce que chaque soldat a vécu dans son quotidien. De même, nous ne souhaitions pas associer Léon à de vrais noms de lieux et de champs de bataille. L’idée était de tendre vers l’universel.

Pourquoi le problème de la censure du courrier des soldats n’est pas évoqué ?
Léon Vivien, c’est le témoignage d’un soldat de la Grande Guerre qui possède un smartphone dans une tranchée... Le présupposé de cette opération ouvre de nombreux champs du possible. Dès lors, on peut imaginer qu’il existe une certaine tolérance de l’état-major. De même, on accepte que Léon Vivien ait des camarades, qui ont aussi une page Facebook et qui communiquent avec lui. Pour autant, le problème de la censure n’a pas été évacué : nous y faisons référence dans deux ou trois billets.

La “philosophie” Facebook, avec les amis de Léon, les commentaires, le récit sur un plan anecdotique, etc. s’est imposée d’elle-même dès le départ ?
Elle est apparue immédiatement. Léon devait avoir une famille, des amis... Dès la genèse du projet, il y avait cette notion de réseau. En revanche, nous voulions que le “mur” de Léon ait du sens, qu’il ait un contenu intéressant, avec de l’information, qu’il ne présente pas forcément des moments anodins, comme sur certaines pages Facebook contemporaines. Les billets, tels qu’ils ont été écrits, auraient-ils pour autant été considérés comme futiles il y a cent ans ? Je n’en sais rien. Cet exercice ouvre de nombreuses interrogations dont nous n’avons pas forcément les réponses.

Comment avez-vous travaillé les “commentaires” qui sont faits sur le mur de Léon Vivien ?
Ils étaient écrits en parallèle des images que l’on trouvait intéressantes. Les images “fortes”, que l’on souhaitait faire apparaître, imposait l’“angle” du texte. Et puis, il y avait des idées que l’on voulait faire passer. Pour cela nous avons utilisé les commentaires...

L’opération doit s’achever cette semaine. Pourquoi ne pas la prolonger, sur une valeur de plusieurs mois ?
C’est une opération très contraignante. Pour ce mois et demi de mise en ligne, nous avons travaillé pendant quatre mois en amont. Ce n’était donc pas compatible sur une démarche de plus grande ampleur, a fortiori dans le cadre d’une opération de mécénat. Et puis, peut-être que nos lecteurs se seraient lassés. Nous voulions raconter le plus de choses possibles dans un temps court. En “diluant” sur six mois aurions-nous conservé le même intérêt et la même tension ? Je n’en suis pas certain.

Qu’allez-vous faire de cet engouement pour Léon Vivien ?
Plus de 54 000 personnes se sont abonnés à cette page. C’est un succès auquel nous ne nous attendions pas. Il n’y a qu’à voir la façon dont les lecteurs se sont appropriés le personnage. La question de l’après-Léon se pose bien évidemment. Mais encore faut-il prouver l’intérêt d’une déclinaison... Peut-on imaginer un livre sur Léon Vivien ? C’est à voir. Cette opération conserve un réel sens si l’on considère le support sur lequel elle a été créée. Certaines personnes m’ont ainsi confié n’avoir jamais avoir ouvert d’ouvrage sur la guerre 14-18, mais attendre, chaque jour, la publication d’un billet de Léon Vivien. En revanche, ce qui est certain, c’est que l’on va utiliser la page Léon Vivien dans le cadre de nos ateliers pédagogiques pour intéresser les collégiens à ce conflit.

Va-t-il y avoir demain des Léon Vivien allemand, anglais, américain...?
Qu’un musée allemand, belge, lance chacun son projet Léon dans sa langue, ça serait en effet la plus belle des récompenses.


Léon Vivien. (création DDB)
Interview : six questions
à Léon Vivien


Quel est votre moral ces derniers jours ? 
Evidemment, la situation n’est pas facile, et tous ces morts que nous croisons de plus en plus nombreux chaque jour me perturbent toujours un peu plus. Et puis quand la mort s’approche encore plus près de vous et frappe un de vos amis les plus chers, alors c’est terrible et le moral en prend un coup. On se dit que l’on pourrait être le prochain sur la liste. Mais si je garde le moral et un peu d’espoir c’est pour ma femme, Madeleine, et mon fils, à qui je ne cesse de penser et pour qui je me dois de tenir coûte que coûte. 

Vous avez bénéficié d'une permission. Qu'avez-vous pensé du “monde de l'arrière” ? 
Quelle bouffée d’air cette permission et, surtout, quel bonheur de découvrir mon fils ! J’étais tellement impatient ! En chemin, j’ai bien vu que la vie continuait et s’organisait, mais je n’avais qu’une idée et qu’une pensée en tête : rejoindre les miens et découvrir les joies d’être père pour la première fois. Je leur ai consacré tout le peu de temps dont je disposais lors de cette permission exceptionnelle. 

Comment se passe le travail de votre épouse à l'usine d'armement ? 
C’est un travail difficile au cours duquel les femmes manipulent des tonnes d’acier pendant près de 12 heures par jour. Alors, enceinte, vous imaginez bien à quel point cela peut être encore plus pénible. C’est pour ça qu’elle a arrêté. Mais plus vite tout le monde se mobilisera, plus vite on sortira de ce marasme. Et puis, pour Madeleine, c’était sa manière à elle de sauver la vie de son mari.

Que pensez-vous de la contribution des femmes à l'effort de guerre ? 
Tous les hommes sont désormais partis au front, même moi qui avais pourtant été réformé ! Alors, il faut bien que la vie continue à l’arrière ; nous avons besoin des femmes, leur mobilisation et leur travail sont indispensables. Et puis je pense que c’est une façon aussi pour elles de se sentir utiles et de soutenir leur père, leurs frères, leurs fils, leur mari partis au front. 

Ne craignez-vous pas que votre correspondance avec votre épouse et vos camarades soit interceptée par la censure ? 
Je sais que potentiellement tous mes échanges peuvent être lus, bien que seuls mes amis peuvent techniquement avoir accès à nos échanges. Je n’ai pas peur, je ne fais que relayer la dure réalité, et puis il faut bien que l’on s’apporte tous un peu de réconfort au moins par les mots. 

Vous attendiez-vous à une guerre de cette dimension ? Considérez-vous toujours cette guerre comme nécessaire ? 
Bien sûr que non ! Je ne pensais même pas un jour être mobilisé ! Et, au final, nous sommes au printemps 1915 et toujours dans un sacré bourbier ! Mais tout ça, ça sera bientôt terminé, je n’en doute pas. Mais si ça a été de plus en plus dur jusqu’ici, on est près de l’issue du conflit… Du moins, je l’espère. De toute façon, la contre-offensive était nécessaire pour repousser l’ennemi ; nous n’avions pas d’autres choix. Il va pourtant bien falloir que tout ça s’arrête, il y a trop de morts… Je crois en l’Homme, mais son absurdité dépasse parfois l’entendement. Tout cela vaut-il encore réellement la peine ? J’espère que oui…. pour l’avenir de mon fils.


Merci à Vincent pour l'idée, au musée de Meaux et à son équipe pour leur participation.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire