Pourquoi ce blog et comment le lire ?

Cette page, qui n'a pas la prétention d'être exhaustive, est un hommage rendu aux hommes du 36e régiment d'infanterie que mon arrière-grand-père, Fernand Le Bailly, a côtoyés, parfois photographiés pendant la Première Guerre mondiale. Elle souhaite conserver et transmettre leur souvenir. Elle est conçue à partir de témoignages, d'écrits et d'archives personnels qui m'ont été envoyés, en partie par des descendants de soldats du 36e. Elle est aussi un prétexte pour aller à la rencontre d'"invités" – historiens, passionnés de la Grande Guerre, élus, écrivains... – qui nous font redécouvrir aujourd'hui ce titanesque conflit. Elle est enfin un argument pour découvrir tous les prolongements de ce gigantesque conflit dans le monde d'aujourd'hui.
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26 mars 2011

Mangin, arrêt sur images

Si les témoignages écrits sont une inestimable source d'information sur les combattants de la Première Guerre mondiale, les photographies représentent également un éclairage troublant sur l'histoire de ces hommes. Les cinq albums photos du général Charles Mangin, mis en ligne sur le site de la Bibliothèque nationale de France en février 2011, constituent ainsi un document étonnant sur ceux qui "firent" la 5e DI à partir du 31 août 1914. Des ruines de Saint-Thierry, en octobre 1914, aux combats menés sous Douaumont, l'objectif du commandant de division fixe les premières tranchées d'octobre 1914, les soldats, les prisonniers allemands, la revue des renforts du 36e régiment d'infanterie à Courcelles, les membres de l'état-major, des scènes de boyaux dans les bois de Beaumarais, les ruines de l'Artois, la neige dans la Somme... Figurant (volontaire) sur les photos, il n'est pourtant pas permis de penser que Mangin prit ces photos de lui-même. Certaines émanent du personnel du Service photographique aux armées ; d'autres furent des tirages donnés par des soldats (une pratique courante à l'époque, voir ci-dessous). Il n'en demeure pas moins que ces clichés furent sélectionnées par Mangin lui-même pour figurer dans ces albums, et donnent, en creux, une lecture du conflit d'une grande richesse.



Le troc des photos sur le champ de bataille
Les soldats s'échangeaient souvent les tirages photographiques à partir d'un même négatif. Dans l'album du général Mangin (ici à gauche), on retrouve ainsi un cliché identique en tous points à celui de l'album de Fernand Le Bailly (à droite). Mais les légendes ne sont pas les mêmes. Mangin : "2 heures après être sortis de Neuville, lieutenant Kahn, sous-lieutenant de Viefville, sergent Le Bailly." Le Bailly : "En revenant de la «fête» de Neuville. Sous-lieutenant Kahn, sous-lieutenant de Viefville, sergent Le Bailly." 

4 mars 2011

Prélude à l'Artois (I)


Le bois de la Mine, aujourd'hui "bois d'Audréaux", vu du nord vers le sud. A gauche, l'ex-bois des Allemands,
d'où partit l'attaque du 10 mai 1915. A droite, le bois Marteau.
"Au début de mai, le 1er bataillon [du 36e RI] dut aller reprendre une tranchée que le 39e régiment avait perdue dans les environs, au bois des Mines ou bois Marteau. La nuit était noire et les Allemands lançaient des torpilles ; on n'avait jamais vu cela. ― Où est notre Beaumarais ? disaient les soldats du 1er bataillon. Après cela, le régiment descendit au grand repos à Fismes." (Jean Hugo, Le Regard de la Mémoire, Actes Sud, 1989)

"L'ennemi se trouve en quelques endroits à cinq mètres
 au plus de nos lignes". Source : BNF, 
département Estampes et photographie, 4-QE-1036
S'il fallait trouver un prélude aux combats de l'Artois, il faudrait sans nulle doute évoquer les féroces combats dans le bois de la Mine [aujourd'hui Bois d'Audréaux sur les cartes IGN], les 10 et 11 mai 1915, dans lesquels furent impliqués les régiments de la 5e division. Par leur sauvagerie et les pertes qu'ils vont entraîner, ils annoncent l'impitoyable affrontement qui se tiendra un mois plus tard dans le petit village de Neuville-Saint-Vaast, à 150 km de là.
Localisés à l'est de Beaumarais, le bois de la Mine appartient à un ensemble de petites bandes forestières bordant le sud du village de la Ville-aux-Bois. La guerre n'a pas épargné ces ilots, qui ont été transformés en bastions retranchés, ceinturés de tranchées et hérissés de mitrailleuses. Marcel Ricois, jeune soldat au 39e régiment, raconte : "Le régiment a pris la place devant et dans les bois Marteau [le même nom aujourd'hui], Franco-Allemand, Mine et Clausade [bois aujourd'hui disparu]. Certains sont occupés en partie par l'ennemi qui se trouve en quelques endroits à cinq mètres au plus de nos lignes. C'est un échange continuel de grenades et d'engueulades. Les compagnies occupant ces endroits doivent tirer toute la nuit, ordre formel du général Mangin. (…)" Jouxtant les lignes allemandes, le bois de la Mine est particulièrement défendu : trois réseaux de fil de fer en interdisent l'entrée, doublés de mitrailleuses et de mortiers cellerier. Dans les sous-sols, des rameaux de combat dans un but offensif, dirigés contre des postes d'écoute allemands, sont creusés, comme en témoigne le JMO du 3e régiment du génie. Mais les Français n'auront pas le temps de mettre leur menace à exécution.
La lisière, aujourd'hui, entre l'ex-bois de la Mine (à droite)
et ce qui fut le bois des Allemands.
Le 10 mai au matin, entre 5h30 et 11h00, selon le rapport établi par le général Tassin, commandant la 9e brigade, les lisières orientales du bois sont bombardées intensivement par des minenwerfers. L'artillerie française ne réplique pas, en raison de la proximité des tranchées des adversaires. Impressionnée par ce bombardement, une compagnie du 35e Territorial "se replie avant l'attaque dans l'intérieur du réduit, abandonnant la tranchée", dans laquelle l'ennemi prend pied. "Les Allemands, raconte Marcel Ricois, par l'entonnoir creusé par l'éclatement d'une mine surgissent ; se frayant un chemin à l'aide de grenades, pénètrent dans les bois ; les premiers armés seulement de couteaux. Un  corps à corps s'engage dans les boyaux. Ils avancent toujours et se battent à la grenade et au couteau. Le moment est critique." Les défenseurs, matraqués par ce poing d'acier, sont sous le choc. "En arrivant, raconte le lieutenant Julien Cauchy, du 39e RI, je rencontre quelques hommes et, auprès d'eux, un jeune sous-lieutenant revolver au poing, et la figure pleine de petites taches de sang. Mais je ne puis tirer d'eaux aucune parole, tellement le bombardement les a rendus sourds."Une première contre-attaque, menée par la 10e compagnie du 35 RIT, échoue. L'état-major, décide alors de jeter dans la bataille le 1er bataillon du 36e RI, en cantonnement à Chaudardes et Concevreux. Le commandant de l'unité, Craplet, reçoit l'ordre vers 13h00...

3 mars 2011

Prélude à l'Artois (II)

Suite et fin du billet consacré à l'attaque du bois de la Mine, le 10 mai 1915.

Entre trous d'obus et vestiges de tranchées,
la lisière nord du bois de la Mine aujourd'hui.
Selon le JMO du 36e RI, les quatre compagnies du premier bataillon quittent leurs cantonnements vers 14h00. Le soldat Armand David, que nous imaginions à la veille du Noël 1914 ressassant ses idées noires, fait partie de ceux-là. Longeant la route qui relie Pontavert à Berry-au-Bac, les unités sont dans un premier temps ravitaillées en munitions près du château de Pontavert. Puis elles sont dirigées sur le bois Clausade, par un boyau de communication, où elles sont mises à la disposition de Tassin. Elles sont enfin acheminées au boyau des cuisines, dans le bois de la Mine, en colonne par un, et placées en formation de combat. Pour cette première attaque, la quatrième et la deuxième compagnies sont désignées, aidées par des éléments du 39e RI.
A 17h00, l'artillerie exécute une violente préparation de trois minutes. La compagnie Trinité du 36e RI (4e Cie) s'élance dans la partie sud du bois, pendant que le compagnie commandée par Venclin (2e Cie) cherche déborder la tranchée ennemie par le nord. Mais le combat progresse lentement… Les Normands ne possèdent pas, en effet, de grenades et sont sous le feu de mitrailleuses qui balayent le terrain. Les Allemands ont, de plus, barré les boyaux, et les bois très serrés et déchiquetés par l'artillerie constituent un obstacle très difficile à franchir. Les Français réussissent toutefois à repousser de cent mètres la ligne de feu. A 19h00, une troisième compagnie du 36e est engagée à son tour et l'assaut est répété : la compagnie Trinitée est à nouveau lancée en avant, appuyée à droite et à gauche par deux sections de la 3e compagnie opérant cette fois en plaine, de chaque côté du bois (au sud le sous-lieutenant Tahot, au nord le lieutenant Hélouis et le capitaine Vivien). Mais cette charge est stoppée par un feu violent de grenades et torpilles. Tahot, qui il y a peu patrouillait au bois du Bonnet-Persan, réussit toutefois à atteindre la lisière des arbres, mais il est arrêté par du fil de fer posé en lisière. Il doit alors creuser un trou de tirailleur en urgence pour s'accrocher au terrain.
Le 74e dans les tranchées du Mont-Doyen.
De gauche à droite, le sous-lieutenant Le Gall,
tué à Verdun, et le sous-lieutenant Seynaeve (4e Cie).
Dans l'abri, inconnu. (Photo coll. Agosto).
Pour appuyer les compagnies du 36e, deux compagnies du 74e régiment, un autre régiment de la 5e division, sont alors jetées dans la fournaise. Commandées par le capitaine Libéros, elles sortent de leur tranchée du Moyen-Doyen à 2h45, dans la nuit éclairées par des fusées, et se précipitent au clairon vers les bois au milieu des réseaux de fil de fer. "Ils tombèrent aussitôt sous un feu violent d'infanterie et d'artillerie, note Libéros ; les plus avancés furent reçus à coups de grenades et de mines, et la tranchée fut bientôt encombrées de blessés tous plus stoïques les uns que les autres." Les compagnies du 74e se replient. Les sections Tahot profitent également de la nuit pour se réfugier dans une carrière au sud du bois de la Mine.
Le 11 mai, la journée se passe dans une attente interminable. Français et Allemands se font face. Certains blessés de la veille, restés dans des entonnoirs d'obus du no man's land, essaient d'échapper à la capture. A 19h50, rapporte le chef de bataillon Craplet, deux fusées partant de la tranchée ennemie donnent le signal pour un bombardement "d'une violence inouïe. Balles, grenades, torpilles, obus de gros calibres, les Allemands s'efforcent de sortir de leur tranchée". Mais les soldats de Guillaume ne peuvent progresser d'un seul pas tant la riposte des Français est vive. Le bataillon du 36e compte toutefois dix nouveaux blessés.A proximité de la zone de mort, la nuit est cauchemardesque. "Hier, raconte Roland Dorgelès, alors mitrailleur au 39e dans une correspondance datée du 13 mai, toute la nuit, on entendait les blessés appeler : «Un tel, tel régiment. Ne me laissez pas. Je suis blessé. Je vais mourir.» Et les autres qui râlaient : «Maman.» Atroce ! Et impossible d'y aller : les fusées et les projecteurs donnaient, et les balles sifflaient dru."
Enfin, le lendemain, le combat cesse. La journée est consacrée à l'organisation défensive du bois de la Mine et, tout au plus, faut-il compter sur l'initiative d'une patrouille menée par l'aspirant Lucas, du régiment calvadosien, pour repousser, dans le boyau central, la ligne de combat de 50 m dans les lignes allemandes. Relevés par le 3e bataillon du 74e, les compagnies du 36e, au terme de ces 48 heures repartent vers les bois de Beaumarais.
Le bois de la Mine, au sud. Au centre, les restes
de la carrière où se réfugie le sous-lieutenant Tahot le 11 mai.
Au total, pour le 36e RI, l'engagement du bois de la Mine se solde par une perte de 90 soldats. Selon Craplet, ce chiffre comprend "2 officiers blessés (sous-lieutenant Debieu, 4e Cie, et Birée, 2e Cie), 9 sous-officiers (1 tué, 8 blessés), 6 caporaux (1 tué, 6 blessés) et 73 soldats (9 tués, 64 blessés)"*. Le 35e RIT compte, lui, 60 hommes (9 tués, 22 blessés, 29 disparus), et pour la nuit du 10 au 11 mai, la contre-attaque du 74e RI au Mont-Doyen enregistrera, elle, une perte de 71 hommes (7 tués, 54 blessés, 10 disparus). Soit, sans compter les pertes du 39e RI, pour lequel nous n'avons pas trouvé les chiffres, un total de 221 hommes. Un coût humain au mètre carré bien cher, mais qui, avec l'Artois, va connaître une véritable inflation.

* A noter que sur le site Mémoire des Hommes, on compte douze hommes tués au 36e RI et non onze : le sergent Maurice Kéro, qui s'était illustré sous Brimont, le caporal Edgar Michel, et les soldats Georges Nicolas, Georges Micouin, Edmond Anquet, Joseph Nicolle, Ferdinand Ramé, Léon Huet, Georges Le Bréquier, Félix Bretagne, Georges Véron et Armand David, qui ne connaîtra plus les coulinages dans son village la veille de Noël.

Merci à "Manu" pour les photos et à Stéphan, pour son travail sur le 74e.