Pourquoi ce blog et comment le lire ?

Cette page, qui n'a pas la prétention d'être exhaustive, est un hommage rendu aux hommes du 36e régiment d'infanterie que mon arrière-grand-père, Fernand Le Bailly, a côtoyés, parfois photographiés pendant la Première Guerre mondiale. Elle souhaite conserver et transmettre leur souvenir. Elle est conçue à partir de témoignages, d'écrits et d'archives personnels qui m'ont été envoyés, en partie par des descendants de soldats du 36e. Elle est aussi un prétexte pour aller à la rencontre d'"invités" – historiens, passionnés de la Grande Guerre, élus, écrivains... – qui nous font redécouvrir aujourd'hui ce titanesque conflit. Elle est enfin un argument pour découvrir tous les prolongements de ce gigantesque conflit dans le monde d'aujourd'hui.
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18 oct. 2010

"Devant Craonne" (I)

Si Jean Hugo ne consacre que quelques lignes à la vie dans le bois de Beaumarais, Paul Chevalier a, en revanche, écrit un long texte, intitulé “Devant Craonne”, avec de nombreuses informations sur les conditions de vie dans les tranchées du 36e régiment d'infanterie. Le combattant évoque longuement l’atmosphère de désolation du lieu, au milieu des vestiges des combats précédents. En voici un premier extrait, annoté plus bas. 

Photo ci-dessus: Le sous-secteur n°2 des bois de Beaumarais (ici à gauche),
que mentionne par Paul Couturier. Au fond du champ,
on distingue le talus de l'ancienne ligne de chemin de fer
 “Après avoir quitté les tranchées champenoises et puis quelques jours de repos, nous sommes allés occuper la forêt de Beaumarais, aux pieds du plateau de Craonne . Notre emplacement est à la lisière d’une large clairière, bordée à notre gauche par une ligne de chemin de fer (1). C’est de cette place et pendant dix jours que nous sommes restés à 100 ou 120 mètres de l’ennemi. En avant de la lisière du bois, des cadavres allemands gisent pêle-mêle depuis des semaines et quelques soldats français le long du talus de chemin de fer qui en est rempli (2). A quelques mètres de nous , il y en a encore, les uns sont déséquipés, les autres entièrement équipés. Dans ce coin de forêt il s’est passé quelque chose de pénible. C’est eux qui voulaient reprendre notre position ; ils se sont ramenés en force, mais l’on veillait et bien vite ils furent arrêtés (3). J’en ai vu des sections entières, par quatre, couchées sur place, des lignes de tirailleurs alignés comme à l’exercice, peut-être blessés. Ils sont tombés aux pieds de nos abris ; tous ceux-là fauchés. Il y en a placés en travers du rail, à deux mètres de nos sentinelles. Quel spectacle horrible, et plus terrible encore, c’est qu’on ne peut les enterrer et celui qui se montre est de suite une cible vivante. Les Allemands occupent la lisière en face de nous ; une tranchée occupée nous sépare (4). D’après les reconnaissances que nous avons faites, elle est remplie de cadavres. Tout cela nous fait vivre dans une atmosphère d’odeurs tout le temps épouvantable (5). Nos abris sont creusés dans la terre et recouverts autant que possible de bois assez résistant sur lequel on met de la terre, puis l’on pique les branchages pour cacher le tout des yeux de l’ennemi. De longues sapes nous relient. Le bois n’est pas beau à voir ; pas un arbre n’est intact, pas une place qui n’ait pas reçu d’éclats d’obus de gros calibres ; ils sont tous couchés ou arrachés. Partout des débris de toutes sortes : fusils, vêtements, sacs français et allemands, de tous côtés. De temps à autres, des tombes de soldats français. C’est au milieu de toutes ces ruines que le régiment vit, car nous vivons, et c’est à peu près l’organisation des tranchées, car tout le monde est en fait ici au lieu d’être cantonnée en arrière dans un village (6). Les vivres régimentaires nous sont apportées la nuit au milieu de grandes difficultés. Notre correspondance, nos colis, tout cela arrive avec du retard, mais cela arrive, et nous-mêmes nous pouvons écrire chaque jour à ceux qui nous sont chers. Notre vie, elle est bien simple. Toujours en éveil, échange continuel de coups de fusils. La nuit, au moindre bruit, tout le monde est prêt ; on prend du repos comme l’on peut, une heure par-ci par-là. Le plus dur est le canon ; chaque jour (7) les Allemands bombardent nos positions et nous envoient d’énormes percutants (obus autrichiens) ou bien leurs 77 moins dangereux, ou bien encore des shrapnels dont les effets sont terribles. Mais le plus terrible, c’est que l’on ne peut bouger et il faut attendre qu’ils s’arrêtent. Notre canon s’en charge. Nous assistons à des duels terribles. J’ai pu voir les effets que produisent les obus : ils sont terrifiants. Leurs abris sont complètement éventrés. Chaque jour, notre canon fait parler de lui et inonde leurs positions. La nuit des projecteurs ne cessent d’éclairer. Notre canon parle, mais le leur est silencieux, à part quelques shrapnels de temps à autres. Le plus pénible, c’est la nuit où les contre-attaques sont possibles, des heures en anxiété debout presque continuellement dans cette position.” 

La suite du texte de Paul Chevalier : cliquer ici.

Notes :

(1) Il s’agit du sous-secteur n°1 des bois de Beaumarais, situé à droite du bois. Les Allemands se retranchent dans le bois de Chevreux et dans le village de Craonne. Sur la carte IGN, la ligne de chemin de fer, que mentionne Paul Chevalier, (que l’on peut voir sur cette carte photo) figure encore, à proximité de la ferme de la Renaissance.
(2) Paul Chevalier évoque certainement les combats qui ont opposé le 6e, le 123e RI aux Allemands le 23 septembre lors d’une attaque sur le Parc de Craonne...
(3) ... suivi d’une contre-attaque allemande, le 26 septembre, où les soldats de Guillaume attaquent en “masses compactes”, selon le JMO du 6e RI. Le 6e régiment d’infanterie prendra part à de nouvelles tentatives pour enlever Craonne du 12 au 14 octobre. Sans succès.
(4) A la lecture du rapport des patrouilles effectuées par le 36e RI, cette tranchée avancée, qui reliait des trous de “tirailleurs”, était la plupart du temps vide. Située dans le no man’s land, elle reliait la ligne de chemin de fer à l’actuelle D19. Les patrouilles de reconnaissance qui y sont effectuées mentionnent la présence de nombreux détritus. Elle sera par la suite inondée.
(5) Le 16 mars 1915, Voisin, chef du 2e bataillon, écrit dans un rapport : “Le secteur devient très pénible à cause de la proximité des cadavres allemands. Le soir surtout une odeur pestilentielle se dégage de la terre. Les hommes ont une tendance aux vomissements. La 6e compagnie relevée ce matin avait beaucoup plus de malades (...) Les hommes envoyés en patrouille ou en reconnaissance dans le secteur, qui auparavant étaient tous volontaires, ont une répugnance chaque jour plus grande, le stationnement auprès des lignes de cadavres qui sont encore en bien plus grande quantité derrière la crête (la cote 67 sur la carte IGN, NDLR), devenant épouvantable par l’odeur qui s’en dégage.” Le 30 mars des mesures de désinfection sont prises sur "150 cadavres allemands". Elles sont poursuivies jusqu'en mai, à l'occasion de patrouilles où les soldats arrosent les cadavres de crésyl.
(6) A partir de décembre 1915, le deuxième et le premier bataillon du 36e RI tiennent cette partie du bois, de six à parfois quinze jours d’affilée. Le 3e bataillon, de son côté, garde le plus souvent le sous-secteur n°2, situé à gauche des bois de Beaumarais. Le cantonnement, lorsqu’il a lieu, se fait à Chaudardes.
(7) Les duels d’artillerie ne font que s’intensifier de décembre à mai 1915 dans les bois de Beaumarais. Avec le mois de février, l'on compte pratiquement un bombardement tous les deux jours (on comptera une moyenne de 350 obus). Et, parfois, la mort fauche au hasard.

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