Pourquoi ce blog et comment le lire ?

Cette page, qui n'a pas la prétention d'être exhaustive, est un hommage rendu aux hommes du 36e régiment d'infanterie que mon arrière-grand-père, Fernand Le Bailly, a côtoyés, parfois photographiés pendant la Première Guerre mondiale. Elle souhaite conserver et transmettre leur souvenir. Elle est conçue à partir de témoignages, d'écrits et d'archives personnels qui m'ont été envoyés, en partie par des descendants de soldats du 36e. Elle est aussi un prétexte pour aller à la rencontre d'"invités" – historiens, passionnés de la Grande Guerre, élus, écrivains... – qui nous font redécouvrir aujourd'hui ce titanesque conflit. Elle est enfin un argument pour découvrir tous les prolongements de ce gigantesque conflit dans le monde d'aujourd'hui.
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26 sept. 2010

"Une nuit dans les tranchées devant Reims"

Ci-contre : une carte intitulée "Faßbrücke bei Courcy (bei Reims)" ("Pont flottant près de Courcy, à proximité de Reims"), envoyée en 1915.

Voici le deuxième et dernier extrait que Paul chevalier consacre, dans son carnet de guerre, aux tranchées de Courcy. L'auteur s'est-il inspiré de la panique qui s'empare de la brigade dans la nuit du 8 au 9 novembre 1914 ? Quelques indices pourraient le laisser penser.

"La journée n’a pas été trop troublée ; le canon s’est fait entendre. Quelques aéros ont survolé nos lignes. Le jour diminue faisant place à la nuit ; il fait froid. Chacun a sa place maintenant ; pas un feu, même pas une cigarette, pas un cri, pas un mot : les ordres se communiquent à voix basse. Nos sentinelles sont placées à 20 mètres de nous. Chacun à sa place guette ; il fait nuit noire. Pan ! Un coup de feu à notre droite : c’est une sentinelle qui vient de tirer, puis un silence. Chacun regarde devant lui le mieux possible, mais à mon poste d’observation je ne vois rien, j’entends seulement le bruit du vent et, dans le lointain, une fusillade mêlée de canonnade. On se parle d’oreille à oreille, une patrouille est sortie pour voir ce qui se passe ; faire bien attention à ne pas tirer sur eux.
"La fusillade se rapproche. C’est un bruit qui arrive petit à petit comme la marée.
(Et) Nos chefs de surveiller le mieux possible. Hélas, il fait tellement nuit que nous ne voyons pas à quatre mètres devant nous. A gauche (vers le bois de Chauffour, NDLR) , la mitraille gagne. Des ordres sont donnés : nous sommes attaqués. Les hommes tirent sans arrêt. Le bruit devient terrible. Les hommes se disent : "Et notre 75, on ne l’entend pas." Le ciel est éclairé par de grandes lueurs et des éclairs qui sillonnent à droite et à gauche. Quelle nuit horrible ! La fusillade continue. Tout à coup, nos batteries ouvrent le feu, les obus passent sur nos têtes et éclatent devant nous. C’est un bruit infernal. En arrière de nos lignes, les canons de sièges envoient de gros obus sur les positions occupées par l’ennemi ; pour mettre le comble, leurs canons ouvrent le feu et crachent des obus et des boîtes à mitraille sur nous. Un nuage de fumée et de poussière nous envahit. On ne distingue plus l’un de l’autre tellement le feu est ardent. On croirait être éclairés par des lampes à ???. Jamais un homme ne pourrait franchir la ligne de feu. C’est un enfer ; pas un endroit n’est intact ; partout la mitraille tombe, les balles sifflent au-dessus de nous, de ces sifflements de reptiles, ou viennent s’aplatir devant nos parapets. Que ces moments nous semblent des heures.
Enfin, l’on sent un ralentissement de l’intensité. Du feu, nos batteries se lassent ; les batteries allemandes ont cessé aussi... Peu à peu, la fusillade diminue, puis le silence de la nuit fait place à ce terrible cauchemar. Chacun regarde autour de lui, content de revoir des camarades, car dans notre compagnie, les pertes ont été insignifiantes ; puis peu à peu, chacun reprend son calme et l’attente continue. De temps en temps, le canon se fait entendre, puis quelques coups. Un silence de nuit passe sur nos têtes ; cela fait une drôle d’impression . Le reste de la nuit se passe dans le calme. C’est là les heures les plus pénibles, car la réflexion se met de la partie. L’on songe aux êtres qui vous sont chers, restés là-bas, qui, en ce moment, dorment et ne pensent pas à vous ; oui cela est terrible. Enfin, les étoiles disparaissent et l’aube arrive. Les alouettes commencent à chanter et le jour tant demandé apparaît."

22 sept. 2010

"Des morts qui n'en finissent pas de mourir"*

Six disparus du 36e régiment d'infanterie sous Brimont, du 14 au 17 septembre 1914, signalés dans la revue "Sur le Vif".
De gauche à droite : Marcel Warlet et Alexandre Cavelier (disparus le 14/09), Albert Martin et Yves Leguern (disparus le 15/09), Alexandre Letulle et Marcel Quettier (disparus le 17/09).
S'il fallait donner une illustration de la férocité des combats de la Grande Guerre, le pourrait-on en évoquant le cas des soldats disparus ? Dès les premiers mois de la guerre, les longues listes d'anonymes perdus dans la fournaise font leur apparition ici et là. Dès son numéro 2, l'hebdomadaire Sur le Vif, photos et croquis de guerre, paraissant depuis le 1er novembre 1914, ouvre ses colonnes aux personnes sans nouvelle de leur proche. La revue leur propose d'envoyer un portrait du soldat introuvable, accompagné de quelques lignes d'informations. Dès lors, chaque numéro égrènera son inventaire de "glorieux disparus".  Pour le 36e, ils concernent essentiellement des hommes disparus en Belgique, en août 1914, sous le fort de Brimont, en septembre 1914, et en Artois, en septembre 1915. Une liste de fantômes, au corps sans doute pulvérisé par un obus ou qui se sont vu abandonnés dans le no man's land après une attaque infructueuse et dont l'identification a été rendue impossible (au début de la guerre, les plaques d'identité mise en service en 1881 et que chaque soldat portait généralement au poignet n'étaient fournies qu'à un seul exemplaire prélevé du corps lorsqu'il était retrouvé)… Avec la fin de la guerre, quelques-uns seront retrouvés dans les nécropoles aménagées par les Allemands pendant l'occupation. Mais la plupart, sans dépouille, continueront d'être pleurés des années durant.


* J'emprunte la formule au texte de Thierry Hardier et Jean-François Jagielski "Le corps des disparus durant la Grande Guerre : l'impossible deuil". Merci à Bernard Labarbe, Jérôme Charraud et Laurent Soyer pour leur travail sur les disparus dans la revue "Sur le Vif".

9 sept. 2010

Au pays des ombres

Une photo prise par Fernand Le Bailly, dans les tranchées de Courcy, en novembre
1914 : "Notre tranchée de 1re ligne, cavalier de Courcy. Pas chaude la nuit !"
Voici les premières lignes non datées écrites par Paul Chevalier dans la plaine de Courcy. Froid, pluie, nuit... C'est l'heure de la relève pour une compagnie qui va en première ligne.


"La journée a été mauvaise ; la pluie, le vent ont donné aux heures présentes un peu de tristesse dans nos cœurs. La nuit vient sans que le jour n’ait paru complètement. Pas un moment les rayons du soleil n’ont apparu pour réchauffer nos cœurs ; c’est notre compagnie qui prend les tranchées de première ligne. On distribue un peu d’aliments, du pain, des sardines, du chocolat et chaque gradé réunit ses hommes, fait l’appel, il ne manque personne . 
En route sans un bruit, pas de feu surtout, l’ennemi est à 1500 ou 1800 mètres. La pluie et le vent font rafales, les hommes marchent sans un mot, on ne se distingue pas. Le second rang ne voit pas le premier, une nuit noire. Le sentier que nous suivons est tortueux et rempli d’ornières, les hommes buttent et tombent parfois, ils se relèvent sans un mot et reprennent leur place. La tempête redouble, on approche des lignes. On s’arrête, on se couche. Au ciel on voit des longues lueurs à droite et en face le canon gronde, on voit de temps à autre comme un éclair, c’est une bouche qui crache. On repart à travers d’énormes trous remplis d’eau. Ces trous sont faits par les obus. Quelquefois, pour ne pas dire souvent, on met le pied dedans et nous voilà mouillés. L’ennemi qui jusqu’à présent n’avait fait marcher ses canons, nous envoie quelques coups de feu. Cela nous importe peu, car la ligne que nous nous allons remplacer est là pour répondre. 
Enfin nous arrivons à notre emplacement. Chacun prend sa place de tirailleur ayant, je vous l’assure, de faire le moins de bruit possible. Les ordres sont transmis d’oreille à oreille. On organise le service, les uns pour les patrouilles, les autres comme sentinelles, car la nuit personne ne dort depuis le grand chef jusqu’au simple soldat. Une fois que l’on est casé, les premières heures passent souvent dans le calme. Chacun arrange la tranchée, la consolide se préserve du froid et de la pluie. 
La tranchée par elle même est une rigole creusée à hauteur de la poitrine, large de 50 cm à 1 m. Avec la terre que l’on retire, on fait un parapet devant soi aussi épais qu’il est possible pour empêcher les balles de passer ; chaque homme creuse ce que l’on appelle un créneau, sorte de couloir pour pouvoir tirer et distinguer devant soi. De place en place, il y a des postes d’observation réservés aux gradés d’ou l’on voit sans être vu. Une fois ces tranchées creusées, on les aménage : on creuse en arrière un couloir pour les cabinets, et, en arrière, encore une vaste chambre beaucoup plus profonde où les hommes peuvent se reposer . Le jour, cette chambre est couverte de bois de toutes sortes, de cailloux et par dessus de la terre sur un mètre. A l’intérieur, on y met de la paille et les hommes se couchent sans se déshabiller. Il y fait chaud par n’importe quel temps. La nuit, la surveillance est très vive. Les sentinelles se trouvent à 25 mètres en avant et sont quelquefois aux prises avec les patrouilles. De là, des coups sont échangés. Le canon ne se fait entendre qu’à la tombée du jour ou au petit jour, mais rarement en pleine nuit. Chaque homme a sa place qu’il garde durant l’occupation , c’est-à-dire pendant quatres jours. Là, il s’arrange une case pour se mettre à l’abri des obus ou des intempéries. Quelquefois, pendant le jour, les hommes causent entre eux, mais la vie en général est très monotone."


Pour lire la suite du carnet de Paul Chevalier sur les tranchées, à Courcy, c'est ici.

5 sept. 2010

Paul Chevalier, nuits et cafard

Outre les témoignages de Jules Champin, de Jean Hugo, et les photos de Fernand Le Bailly, un nouveau témoignage écrit par un combattant du 36e régiment d'infanterie vient de nous parvenir. Il s'agit du journal, tenu de novembre 1914 à février 1917, par Paul Chevalier.
Paul, Henri, Emile Chevalier naît le 5 septembre 1885. Il démarre son service militaire le 5 octobre 1908 et reçoit, au 156e régiment d'infanterie, caserné à Toul, le certificat d'aptitude à l'emploi de chef de section dans la réserve, ce qui lui permet d'avoir le grade d'adjudant au début de la guerre. Rappelé le 30 juillet 1914 à la caserne située 7, place des Batignolles, à Paris, dans le 17e arrondissement, il est affecté au 36e régiment d'infanterie de Caen, où il effectue une grande partie de la guerre.
Il est promu sous-lieutenant de réserve à titre temporaire pour la durée de la guerre le 7 octobre 1915, alors que le régiment se trouve dans la Somme. Cette même année, son frère Henri  (le 23 septembre 1915) est tué à la main de Massiges. Pendant la guerre, Paul reçoit la médaille militaire et deux citations à l'ordre de l'armée et du corps d'armée, lors de l'offensive du 25 septembre 1915, en Artois, et lors de l'attaque de Douaumont, le 22 mai 1916. En première ligne, il est blessé le 13 juillet 1917 près d'Urvillers (Aisne) en recevant des éclats de grenade au bras gauche et dans le rein. Puis il quittera le régiment pour être nommé lieutenant au 508e régiment de chars de combat.
Après guerre Paul Chevalier travaille au comptoir d'escompte de Paris, et suit des périodes de formation comme officier de réserve. Il est élevé au grade de chevalier de la légion d'honneur en 1923, et sera nommé capitaine six ans plus tard pour être rayé des cadres de la réserve le 6 décembre 1934. Son petit-fils, qui demeure à Strasbourg, nous a fait parvenir plusieurs documents écrits de la main de Paul. Il s'agit de feuillets écrits au crayon de bois, à peine lisibles, de lettres, et de coupures de presse de l'époque où le 36e RI est évoqué. Ces papiers sont complétées de photos, prises vraisemblablement dans les bois de Beaumarais, à Verdun, et en mars 1916.
S'il fallait trouver un registre au manuscrit de Paul Chevalier, ce serait celui de la douleur. Immergé dans cette tuerie, le jeune homme de 29 ans en 1914, exempt de tout esprit revanchard, souffre de sa situation et de celle de ses camarades. Mais il sait être aussi un étonnant narrateur lorsqu'il rapporte les relèves effectuées en pleine nuit et le sombre quotidien du "poilu" dans la tranchée de première ligne.

La guerre du soldat Paul Chevalier (36e RI)
(A suivre...)