Pourquoi ce blog et comment le lire ?

Cette page, qui n'a pas la prétention d'être exhaustive, est un hommage rendu aux hommes du 36e régiment d'infanterie que mon arrière-grand-père, Fernand Le Bailly, a côtoyés, parfois photographiés pendant la Première Guerre mondiale. Elle souhaite conserver et transmettre leur souvenir. Elle est conçue à partir de témoignages, d'écrits et d'archives personnels qui m'ont été envoyés, en partie par des descendants de soldats du 36e. Elle est aussi un prétexte pour aller à la rencontre d'"invités" – historiens, passionnés de la Grande Guerre, élus, écrivains... – qui nous font redécouvrir aujourd'hui ce titanesque conflit. Elle est enfin un argument pour découvrir tous les prolongements de ce gigantesque conflit dans le monde d'aujourd'hui.
Comment consulter cette page ? Vous pouvez lire progressivement les messages, qui ne respectent pas un ordre chronologique (ils évoquent, par exemple, l'année 1915 ou 1914). Vous pouvez aussi avoir envie de vous attarder sur une année ou un secteur géographique : pour cela, cliquez dans la colonne à gauche dans la rubrique "Pages d'histoire du 36e" sur la période et le lieu qui vous intéressent. Tous les messages seront alors rassemblés pour vous selon l'ordre de publication.
Comment rentrer en contact ? Pour de plus amples renseignements sur ce site, ou me faire parvenir une copie de vos documents, vos souvenirs ou remarques, écrivez-moi. Mon adresse : jerome.verroust@gmail.com. Je vous souhaite une agréable lecture.

Avertissement : Si pour une raison quelconque, un ayant-droit d'une des personnes référencées sur ce site désire le retrait de la (les) photo(s) et des informations qui l'accompagnent, qu'il me contacte.

18 juin 2010

Les archives du Calvados s'entrouvrent

Une capture d'écran du "visualiseur" d'images du site,
en l'occurrence, la maquette du monument aux morts du
36e, 236e RI et 23e, et 223e RIT, élaborée par Robert Drouin,
soldat au 36e RI (monument érigé en 1938).




Une fois n'est pas coutume, saluons avec retard l'initiative du conseil général du Calvados, qui a mis en ligne ces derniers mois cinq fonds documentaires et iconographiques consultables à distance sur Internet. Ces outils apparaissent bien utiles pour ceux qui recherchent des informations sur les Bas-Normands du 36e régiment d'infanterie, et ne peuvent se déplacer aux archives de Caen. Les fonds accessibles comprennent, pour le moment, les délibérations municipales, les cartes et plans ainsi que les cartes postales et photographies des lieux et des communes du département à consulter gratuitement. Les registres paroissiaux et d'état civil demeurent, en revanche, payants, "pour couvrir une partie des frais liés à ce service", alors qu'ils demeurent gratuits en salle de lecture. Le prix de l'abonnement est de 2 € pour deux  jours d'abonnement à 200 € pour une année. Espérons qu'à terme, le Calvados rejoindra la majorité des départements qui proposent désormais la consultation de ces fonds, voire pour certains, l'accès aux registres matricules, en toute liberté. L'histoire des hommes qui ont fait ce département a tout à y gagner.

16 juin 2010

Marmites et fourchettes

Selon sa citation, le futur capitaine Eugène-Victor Girard
(qui s'illustrera à Neuville-Saint-Vaast en juin 1915)
"a par quatre fois repoussé à la baïonnette, en tête de sa
compagnie, les 16 et 17 septembre,
de violentes attaques allemandes
" devant les bois de Soulains.

Après la charge du 16 septembre, les Allemands tentent, dans la nuit, une nouvelle attaque à partir des bois de Soulains, qui est également repoussée par les soldats du 36e régiment d'infanterie. Au petit jour du 17, un troisième assaut se voit refoulé, puis deux autres à 12h00 et à 16h00. Chaque combat se répète inlassablement : les soldats de Guillaume sortent du bois en courant (parfois aux cris de "cessez-le-feu" ou "France que j'aime", selon le commandant du régiment) sous la protection de leur artillerie et se précipitent vers le talus du chemin de fer, aux mains des Normands, pour essayer de s'en emparer. Puis après un combat souvent à la baïonnette, les Allemands, n'ayant pu se rendre maître du remblai, refluent vers les bois pour y trouver une relative protection. Les Normands sont alors dans l'incapacité de les pourchasser, car dès qu'ils se lancent à leur poursuite ils sont fauchés par les mitrailleuses allemandes placées en enfilade.
Si le combat rapproché à la baïonnette, "à la fourchette", caractérise ces journées d'engagement, c'est surtout la violence de ces journées et l'expérience du feu qui marquent les combattants. Fernand Le Bailly, soldat au 36e, après avoir rejoint son régiment, témoignera de cette sauvagerie dans son récit sur la bataille de la Marne : "Durant cette nouvelle journée de combat – la quatrième -, je vis défiler certes, au moins 600 blessés. Les uns soutenant leur bras à moitié déchiqueté ou n'ayant plus de figure humaine ou bien, s'aidant de leur fusil comme béquille, se traînaient péniblement dans la direction du canal pour bien souvent, hélas, attraper une nouvelle balle ou éclat d'obus qui les clouait sur place. J'ai vu une section entière : 52 hommes qui, voulant traverser la voie, anéantie littéralement en 4 secondes par le feu d'une mitrailleuse qui nous tirait dessus à 200 m - 3 hommes seuls revinrent à côté de nous, au talus. Les autres, tués ou blessés restèrent sur la voie. J'ai vu là, les braves qui, avec un pied coupé ou deux balles dans le corps… courir sans crier ou bien, se coucher, le long d'une haie et attendre la mort en ne demandant qu'une chose : «A boire» ou s'écrier «Maman» , «Ma femme» ou, très souvent encore «Vive la France»."
Pour certains, qui n'ont pas connu Charleroi, ce fut la première expérience des bombardements, entre autres des terribles "marmites". Le soldat Auguste Cômes, natif de Mannevillette, grièvement blessé ce jour-là, racontera bien des années plus tard en quelques mots l'horreur absurde de ces moments : "Dès la blessure ressentie, je dis à mon copain juste à côté de moi: «Guette ma jambe»... Pas de réponse… Le copain avait eu la tête emportée… Il était décapité." Touché par un éclat d'obus à la jambe gauche et à la main droite, le soldat Cômes sera emmené sur une civière hors du champ de bataille, puis momentanément abandonné sur place par les brancardiers à cause des tirs allemands. Secouru de nouveau, il sera amené sur le parvis de la cathédrale de Reims, où, selon son récit, les blessés étaient "triés" en fonction de la nature et de la gravité de leurs blessures. Ils seront ainsi des dizaines à être acheminés à Reims, à dix kilomètres de là, et soignés sous les bombardements dans des structures sanitaires improvisés, sur des matelas, des paillasses, des canapés ou sur de la paille : à l'hôpital auxiliaire (HA) n°101, dans l'Ecole professionnelle de filles, 23, rue de l'université, où sera pansé Jules Champin et où mourra, parmi tant d'autres, Henri Osmont, originaire de Trouville ; à l'HA n°47, dans l'usine Sainte-Marie, rue Boudet, où décèdera Emile Aze, natif de Ryes ; à l'HA n° 59, dans la clinique Lardennois, 21, rue de Savoye, où Aimé Lemullois, né dans le petit village de Bazenville (à 5 km de Ryes…), rendra son dernier souffle…
Selon le commandant Bernard, qui rédigera un rapport le 21 septembre sur cet engagement, les pertes du régiment sur ces cinq journées seront, hormis le 2e bataillon, enfermé au château de Brimont, de 750 hommes. Sur cette même période, pour les trois départements de la Basse-Normandie, 89 soldats du 36e RI sont déclarés "morts pour la France" sur le site Mémoire des Hommes. Dix-neuf possèdent une sépulture dans une nécropole militaire : à Reims (7), Sillery (5), Sommepy-Tahure (4), Suippes (2) et Soupir (1).

Merci à Laurent Langlet pour le témoignage de son arrière-grand-père.

5 juin 2010

Bernard broie du noir

Le 16 septembre, les Allemands partis
des pentes de Brimont (en bleu foncé) conquièrent
les bois de Soulains (en bleu clair)
Que reste-t-il des combats du 16 septembre 1914 dans les bois de Soulains ? Quelques compte-rendus hâtivement griffonnés par Bernard, commandant du 36e régiment d'infanterie, conservés aujourd'hui dans les cartons de la 5e division. Des vieux papiers jaunis, réunis par une épingle rouillée, qui égrènent leur poids d'angoisse et d'inquiétude.
Dès 16 heures, ce jour-là, le lieutenant-colonel évoque en effet d'un combat d'une brutalité "inouïe". Les Allemands, une fois maître des bois de Soulains, continuent sur leur lancée et progressent en quelques minutes, en direction du talus de la ligne de chemin de fer Reims-Laon, à 150 mètres de là, où sont retranchés les Normands. Cette attaque est soutenue par deux batteries ennemies et des mitrailleuses, qui descendent des pentes du village de Brimont et s'arrêtent à un kilomètre du canal. Pour arrêter les soldats de Guillaume, Bernard jette quatre compagnies du 36e, un bataillon du 43e RI (le bataillon de Lille), appuyés par les batteries du 15 régiment d'artillerie de campagne de Douai. Avec succès : repoussée "avec une égale violence", la ruée allemande reflue bientôt vers les bois de Soulains. "Les pertes éprouvées par les Allemands paraissent lourdes, note Bernard. Ils n'ont du reste pas attendu la charge (des Français, NDR) et ont fui aux cris de "En avant !". Malheureusement leurs sections de mitrailleuses qui nous pressent de flanc nous empêchent de compléter notre succès et nous devons nous contenter de les poursuivre par le feu."
Selon le JMO du 36e RI, "la section de mitrailleuses (française, NDR) au premier étage de la maison du garde-barrière a tiré plus de 4 000 cartouches sur les Allemands qui s'infiltraient au sud des bois sur le champ d'aviation (situé au sud des bois de Soulains, NDR)." L'artillerie a également canonné la ferme de l'Allouette, qui servait de poste de secours aux médecins des 1er et 3e bataillon du 36e dans laquelle les Allemands avaient installé leurs mitrailleuses. Les médecins et les brancardiers qui n'ont pu être prévenus de la fuite du 84e RI ont été fais prisonniers, et l'on a vu des brancardiers français mêlés aux brancardiers allemands relever de nombreux soldats, blessés par les mitrailleuses françaises établies à la maison du garde-barrière. "Le régiment est fatigué par cinq jours et cinq nuits de combats, poursuit l'officier. Ce qu'il en reste manque d'officiers. Huit officiers sont blessés dans ces dernières journées (...) J'aurai besoin d'un renfort de troupes solides pour tenir demain toute la journée." Au soir, Bernard entend piocher dans le petit bois. Selon lui, l'ennemi enterre ses morts, car il ne voit aucune tranchée établie aux lisières des futaies au petit matin.