Pourquoi ce blog et comment le lire ?

Cette page, qui n'a pas la prétention d'être exhaustive, est un hommage rendu aux hommes du 36e régiment d'infanterie que mon arrière-grand-père, Fernand Le Bailly, a côtoyés, parfois photographiés pendant la Première Guerre mondiale. Elle souhaite conserver et transmettre leur souvenir. Elle est conçue à partir de témoignages, d'écrits et d'archives personnels qui m'ont été envoyés, en partie par des descendants de soldats du 36e. Elle est aussi un prétexte pour aller à la rencontre d'"invités" – historiens, passionnés de la Grande Guerre, élus, écrivains... – qui nous font redécouvrir aujourd'hui ce titanesque conflit. Elle est enfin un argument pour découvrir tous les prolongements de ce gigantesque conflit dans le monde d'aujourd'hui.
Comment consulter cette page ? Vous pouvez lire progressivement les messages, qui ne respectent pas un ordre chronologique (ils évoquent, par exemple, l'année 1915 ou 1914). Vous pouvez aussi avoir envie de vous attarder sur une année ou un secteur géographique : pour cela, cliquez dans la colonne à gauche dans la rubrique "Pages d'histoire du 36e" sur la période et le lieu qui vous intéressent. Tous les messages seront alors rassemblés pour vous selon l'ordre de publication.
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21 févr. 2010

Le témoignage de Jules Champin (suite et fin)

Suite et fin des billets précédents consacrés à Jules Champin : après sa blessure dans la plaine de Courcy, en septembre 1914, le soldat Jules Champin, du 36e régiment d'infanterie, est soigné dans un hôpital de la Croix Rouge, à Reims. Il est bientôt rejoint pas d'autres soldats, français et allemands, et la ville commence à être bombardée (ci-dessous, avec sa frise estampillée Caen : Jules Champin. Photos DR).


"Vendredi 18 septembre 1914
Dès 6h00 du matin, le bombardement recommence et va aller toute la journée de plus en plus violent. La cathédrale doit être très endommagée, les blessés qui peuvent marcher se réfugient dans les grandes caves de l'hôpital, croyant être plus à l'abri. Il y en a beaucoup de mon régiment dont mon ami Rivière, de la Vaudré, à Clécy (classe 1912). Il était venu me voir près de mon lit, aussitôt qu'il avait appris que j'étais là avec lui. Il était blessé légèrement à l'épaule, naturellement il s'empresse de descendre dans les caves, car le bombardement redouble de violence et cette fois c'est pour nous. Il tombe 3 gros obus dans l'hôpital à un mètre de hauteur du niveau de la cour et à six ou sept mètres de distance les uns des autres, qui naturellement défoncent et vont éclater dans les caves où tout le monde valide ou pouvant marcher s'est réfugié. Il doit y avoir beaucoup de victimes. Nous sommes de plus en plus persuadés que nous sommes environnés d'espions, un bombardement si précis est inimaginable. Dans les mansardes et partout on ne respire que de la poussière. À ce moment-là, nous apprenons que dans la cathédrale, les éclats d'obus viennent tomber dans la chambre de la mansarde où je suis resté couché pendant le bombardement. J'en ramasse un, mais il est tellement chaud que je me brûle les doigts en voulant y toucher. Un autre vient déchirer mon matelas. Cette fois c'en est trop, je m'habille comme je peux et prend ma musette où sont toutes mes petites affaires personnelles. C'est l'affolement complet partout, on ne respire que de la fumée et de la poussière. J'arrive enfin dans la cour ou je vois les... 3 fameux trous d'obus qui ont fait tant de ravage parmi nous. Je m'informe de
mon ami Rivière. J'apprends qu'il est resté dans les caves, à mon grand regret, je ne peux pas y aller voir. De ce que nous sommes de rescapés, une dizaine, on se réunit dans la cour. Les plus valides étant déjà partis et, sous la direction d'un ??? (illisible) major du 36e, on décide de partir en direction de la gare vers 2h00.
Je dois faire beaucoup d'efforts pour marcher, car ma jambe me fait rudement souffrir. Impossible de pouvoir s'appuyer dessus, on s'entraide du mieux que l'on peut, car mourir pour mourir, il n'était plus possible de rester dans ce maudit hôpital. Mon balai m'aide beaucoup à marcher, et petit à petit nous avons espoir de pouvoir nous sauver. Nous passons à côté de la statue de Jeanne d'Arc, qui est juste sur le milieu du parvis de la cathédrale, qui est bien abîmée. Je remarque aussi l'hôtel de Ville dont il ne reste plus un seul carreau, les rues sont défoncées pleines de débris de toutes sortes et bien endommagées, beaucoup de maisons sont brûlées ou démolies. Pendant cette petite accalmie du bombardement, nous arrivons tout de même à la gare de Reims où une grande joie nous attend, le chef de gare et les employés sont très chic pour nous. Ils nous installent dans deux wagons qui sont déjà bien garnis de blessés. La locomotive est sous pression, prête à partir. Je suis dans un wagon de lère classe. Si nos blessures ne nous faisaient pas souffrir, on serait presque comme des rois. Bref, nous partons vers 3h00 bien contents et heureux de quitter cet enfer infernal. On doit un grand merci aux employés et au chef de gare qui se sont bien dévoués pour nous tous. Nous passons par les gares suivantes : Tinqueux, Thillois, Muisson, Jonchery, où il y a déjà ????? (illisible) un grand train de blessés bien garni - Courlandon, Plemes ou enfin on attache nos deux wagons à un autre train rempli de blessés ????? (illisible). Dans la nuit, nous arrivons à Château-Thierry où nous changeons de ligne, car la nôtre doit être coupée, ce qui nous oblige à faire un très grand détour.

Samedi 19 septembre

Notre train repart dans la nuit de Château-Thierry. Nous passons ensuite par Dormans, Port à Binson, qui me rappelle la nuit où nous nous sommes battus comme des lions et, au moins, où j'ai eu la grande joie de venger beaucoup de mes camarades tombés au champ d'honneur. Nous arrivons ensuite à Epernay. On distingue en passant les établissements Mercier, si renommés pour leur champagne."



Avec ce dernier extrait se clôt (provisoirement) cet étonnant témoignage, consacré aux combats de l'automne 1914.

19 févr. 2010

Le témoignage de Jules Champin (suite...)

Par souci de compréhension pour le lecteur, nous déplaçons ce billet déjà paru en 2008 pour le placer chronologiquement, à la suite des autres consacrés à Jules Champin. Après avoir été blessé lors des combats sous Brimont, le soldat du 36e régiment d'infanterie, rejoint par ses propres moyens les abords de Reims. Il est soigné dans un hôpital de la Croix-Rouge, à deux pas de la cathédrale (Photo DR).

"Lundi 14 septembre 1914
Je suis dans une petite chambre où nous sommes une dizaine de blessés plus ou moins gravement. C'est dans un lycée de jeunes filles, rue de 1'université à Reims (
photo)*, qui est transformé en hôpital temporaire. Ce n'est pas loin de la cathédrale, car je la vois de mon lit, et nous y entendons sonner les heures. Vers 10 heures matin le médecin major vient nous voir tous. Il me refait mon pansement et m’enlève tous les morceaux d'étoffe - caleçon, culotte, capote - qui étaient entrés avec la balle dans le trou de ma blessure avec une longue pince et une sonde, je crois. C'est encore un mauvais moment à passer, car je fais de drôles de grimaces. Enfin, il me console bien, car il dit que ce ne sera pas grave. Dans l'après-midi, il tombe beaucoup d'obus sur la ville. Je me dis que je n'ai pas très bien choisi mon hôpital.

Mardi 15 septembre
Aujourd'hui, on dirait que le bombardement de la ville est un peu plus calme. Nous sommes très bien soignés quand le médecin-major vient me rendre visite. Il me refait mon pansement et cherche encore s'il va réussir à trouver la balle. Comme il ne trouve rien, je lui explique la position, que j'occupais quand je l'ai reçue et comme j'ai tombé.
(illisible) que la balle m'avait contourné la cuisse et était venue se loger par devant, juste sous 1'artère fémorale me blessant le nerf sciatique, ce qui me faisait horriblement souffrir quand j'essayais de m'appuyer sur la jambe. Bref, j'en aurai la confirmation que lorsque je passerai à la radio. Il me refait mon pansement et remet encore la sonde, et je crois un drain (illisible), ce que je sais c'est qu'il me fait toujours bien souffrir. Il me dit que c'est pour que le pus puisse sortir, pour ne pas infecter la plaie.

Mercredi 16 septembre

Le bombardement de la ville continue par intervalles. On dirait qu’il tombe quelques obus sur la cathédrale. Mais il arrive toujours tellement de blessés à 1’hôpital, des blessés qui demandent plus de soins que moi, que je vais coucher par terre sur un matelas dans les mansardes, où des infirmiers viennent de me conduire sur un brancard. Quelle stupéfaction pour moi en arrivant, car je ne suis qu'entouré d'Allemands qui sont gravement blessées, aussi ils ne sont pas dangereux. Parmi eux, il y a des uhlans, qu'on reconnaît facilement à leurs grandes bottes qui sont plus belles que mes grossiers godillots. Dans cette mansarde, nous sommes tous tassés les uns à côté des autres, Français et Allemands tous mélangés. Ce n'est pas très gai, car on se regarde d'un mauvais œil en-attendant de faire plus ample connaissance.


Jeudi 17 septembre

Aujourd'hui, les Allemands bombardent la ville sans arrêt, l'horloge de la cathédrale est brisée, car on ne l'entend plus sonner. Il arrive continuellement des blessés sans arrêt, on parle beaucoup d'en faire partir, je voudrais bien être du nombre, car il ne fait pas bon dans ce quartier.
"
(A suivre…)

* Il s'agit de l'hôpital auxiliaire situés dans l'Ecole professionnelle de filles, 23, rue de l'université, à Reims, qui fonctionne du 2 août au 20 septembre 1914.

9 févr. 2010

Le flâneur du 36e : une cuirasse dorée sur tranche

Si vous passez à Notre-Dame-de-Lorette, montez à la tour-lanterne, "haute comme un phare marin signalant le site pour le jour de l'Apocalypse", comme l'écrit Claude Duneton dans Le Monument. Ne vous précipitez pas pour autant à son sommet. Saluez les gardes d'honneur en béret, allez à la crypte, puis montez à la lanterne : un escalier de 193 marches vous y mènera, coupé par cinq paliers où sont exposés documents et reliques militaires. C'est là où vous pourrez découvrir qu'au 36e RI, comme dans d'autres régiments, l'on se protégeait comme l'on pouvait, parfois malgré soi, des orages d'acier. Merci à Thierry Cornet pour cette photo.