Pourquoi ce blog et comment le lire ?

Cette page, qui n'a pas la prétention d'être exhaustive, est un hommage rendu aux hommes du 36e régiment d'infanterie que mon arrière-grand-père, Fernand Le Bailly, a côtoyés, parfois photographiés pendant la Première Guerre mondiale. Elle souhaite conserver et transmettre leur souvenir. Elle est conçue à partir de témoignages, d'écrits et d'archives personnels qui m'ont été envoyés, en partie par des descendants de soldats du 36e. Elle est aussi un prétexte pour aller à la rencontre d'"invités" – historiens, passionnés de la Grande Guerre, élus, écrivains... – qui nous font redécouvrir aujourd'hui ce titanesque conflit. Elle est enfin un argument pour découvrir tous les prolongements de ce gigantesque conflit dans le monde d'aujourd'hui.
Comment consulter cette page ? Vous pouvez lire progressivement les messages, qui ne respectent pas un ordre chronologique (ils évoquent, par exemple, l'année 1915 ou 1914). Vous pouvez aussi avoir envie de vous attarder sur une année ou un secteur géographique : pour cela, cliquez dans la colonne à gauche dans la rubrique "Pages d'histoire du 36e" sur la période et le lieu qui vous intéressent. Tous les messages seront alors rassemblés pour vous selon l'ordre de publication.
Comment rentrer en contact ? Pour de plus amples renseignements sur ce site, ou me faire parvenir une copie de vos documents, vos souvenirs ou remarques, écrivez-moi. Mon adresse : jerome.verroust@gmail.com. Je vous souhaite une agréable lecture.

Avertissement : Si pour une raison quelconque, un ayant-droit d'une des personnes référencées sur ce site désire le retrait de la (les) photo(s) et des informations qui l'accompagnent, qu'il me contacte.

22 déc. 2010

2011, lever de rideau

Le blog du 36e régiment d'infanterie souhaite à tous ses lecteurs, fidèles ou non, de bonnes fêtes et une heureuse année 2011.

Photo : dix-sept soldats du 36e RI qui, entre autres, nous accompagneront pour l'année à venir. De gauche à droite, premier rang : Teyssier, Kahn, Ticos, Crepin, Hugo, Loreille, Le Bailly. Deuxième rang : Chevalier, Méneteau, Couturier, d'Andrezelles, Champin, Aubry. Troisième rang : Abeille, Bouleis, Chassery. Au sommet, Mathias.

13 déc. 2010

Coup de main au Bonnet-Persan

L'emplacement du bois du Bonnet Persan, aujourd'hui disparu.
Photo : Serge Hoyet.
Avec le mois d'avril, la guerre de harcèlement se poursuit sur le front des bois de Beaumarais. Au 36e régiment d'infanterie, le mot d'ordre - "faire le plus de mal à l'ennemi par fusils de guerre, par fusils de chasse, par grenades à main" - est poursuivi, doublé d'une idée fixe : constituer des prisonniers. Les patrouilles et les reconnaissances quotidiennes revenant bredouilles, Jèze lance le 5 avril un coup de main sur le bois de Bonnet-Persan.
Longue de 180 m sur 30 m de largeur, cette longue bande boisée, aujourd'hui disparue, est située au nord-est de la Ferme du Temple, parallèle à la route Corbény-Pontavert et perpendiculaire à la route qui rejoint la Ville-aux-Bois (voir carte ci-dessous). Occupée par l'ennemi de nuit, elle est défendue par un réseau de fil de fer qui court sur toute son étendue, doublé au sud d'un réseau extérieur. Elle est en outre gardée par plusieurs postes sur la lisière ouest, une tranchée vers le sud, et une sape qui remonte la bordure orientale du bois. Isolé des lignes allemandes, ce petit boqueteau est utilisé par les Allemands comme poste d'écoute avancé. De surcroît, le terrain marécageux rend la garde de cette zone difficile : dès qu'il pleut, les tranchées sont remplies de 10 à 15 cm d'eau.
En mars 1917, le bois du Bonnet-Persan (en bas à droite)
est encore situé dans le no man's land.
C'est la 7e compagnie qui organise ce coup de main qui rassemble quatre escouades, commandées par le sous-lieutenant Robert Lefèbvre, complétées par un détachement de sapeur du 3e bataillon du 3 régiment du génie. Comme pour l'action du 12 janvier, l'incursion est précédée d'un luxe de précautions : une reconnaissance est lancée à 20h00 dirigée par Lefèbvre lui-même, suivie d'une autre, menée par le sergent Verquières, une demi-heure plus tard, pour détruire le réseau de fil de fer sur le côté ouest du bois, dont la largeur atteint à cet endroit les 30 m. L'opération démarre dans la nuit, vers 2h30 du matin, par un tir d'artillerie suivi d'un tir de barrage, pendant que les escouades se massent le long de la route La-Ville-aux-Bois-Chevreux. L'adjudant Bapt, à la tête de la colonne de gauche avec le sergent Le Bleiz du génie, remonte en contournant le bois du Bonnet Persan par le nord. Selon le JMO du régiment de Caen, "le sergent du génie rencontre deux allemands, les assomme" et fait détonner "une charge allongée de 50 pétards suivant le profil de la sape (qui relie le bois aux tranchées, NDR), l'obstruant partiellement et détruisant la mise à feu reliant la tranchée ennemie aux fougasses présumées" (JMO, 3e RG). Puis descendant cette sape vers le sud en suivant la lisière orientale du bois, "ils rencontrent deux Allemands, l'un est tué, l'autre veut fuir et est fait prisonnier." Dans le même temps, poursuit le JMO du 36e, "le sous-lieutenant Lefebvre rassemble son monde dans les bois et les trois autres colonnes abordent ensemble la sape du milieu. La porte d'un abri d'où sort de la lumière est enfoncée : un allemand sort baïonnette au canon, le sous-lieutenant Lefebvre grimpé sur un abri lui brûle la cervelle. Dans l'abri ils font prisonnier un sous-officier, un caporal est un homme." En quelques minutes, tout est fini. Les colonnes de Lefèbvre et Bapt se rejoignent ensuite et capturent un Allemand supplémentaire dans un blockhaus, au sud du bois. Puis le groupe rentre à la tranchée de départ.
A bien lire le JMO de la 5e division, le bilan de coup de main est impressionnant : près d'une soixantaine d'Allemands tués sans aucune perte à déplorer côté français, des ouvrages complètement bouleversés pour l'adversaire, cinq prisonniers dont deux sous-officiers du 13e Landwehr... Il vaudra au sous-lieutenant Lefèbvre, parti comme sergent au début de la guerre et dont le frère sert également au 36e RI comme caporal fourrier, de recevoir la légion d'honneur le 25 avril. De même, l'adjudant Bapt recevra la médaille militaire. Pour autant, le bois n'est pas occupé, et le 15 avril, une patrouille menée par le sous-lieutenent Tahot, de la 3e compagnie, ne pourra que constater que le Bonnet-Persan est de nouveau contrôlé par les Allemands.

5 déc. 2010

Le baroud d'honneur de Jèze

Charles Jèze (Illustration : Renaud Merlan)
Le 1er avril 1915, en fin de journée, le lientenant-colonel Jèze, désigné au commandement du 36e RI, rejoint le régiment dans les bois de Beaumarais. Il vient y remplacer le colonel Bernard, parti deux jours plus tôt au commandement de la 103e brigade d'infanterie. Qui est cet homme dont le nom est encore aujourd'hui associé aux mouvements de "mutineries", que va connaître l'unité fin mai 1917 ?
Nous en savons un peu plus sur lui grâce à son dossier militaire, conservé aujourd'hui au fort de Vincennes. Charles Jean Jacques Adolphe Jèze naît le 8 avril 1864, sous le Second Empire, à Toulouse. Son père est drapier, mais connaît des revers de fortune. A 21 ans, Charles s'engage pour cinq ans, et présente l'école spéciale militaire en 1886 avec demande de bourse avec trousseau. Il sera reçu à Saint-Cyr deux ans plus tard, et sortira avec le rang n°5 sur 406. Yeux "châtains", visage "ovale", il mesure 1,69 m et présente "une constitution physique faible" nous dit son livret militaire. Vers la même époque, Charles Jèze rencontre Marie-Louise Sabathier, née dans le Gers, dont le père est cultivateur. Ensemble, ils ont un fils, Charles Guillaume, qui naît en 1898.
Trois ans sous lieutenant, cinq ans lieutenant, quinze ans capitaine… En 1908, Charles Jèze, alors sous-officier, est décrit sur son feuillet individuel de campagne comme "intelligent, calme, instruit, et très bon administrateur". En 1911, il obtient enfin un poste de chef de bataillon au 92e RI, puis passe au 1er régiment de zouaves. La guerre le trouve chef d'état-major de la 38e division, au commandemant du territoire d'Ain-Sefra, en Algérie. Il démarre la guerre au 9e corps d'armée en Yser, où il est nommé lieutenant-colonel du 135 RI, le régiment d'Angers.
A l'hiver, il rejoint les Normands du régiment de Caen. Sous ses ordres, l'unité gagnera sa première citation lors de son engagement à Neuville-Saint-Vaast. Jèze y glanera, au passage, une rosette d'officier de la légion d'honneur. En 1916, le commandant de brigade, Viennot le décrit comme "un chef de corps ferme énergique possédant un grand sens tactique". Autant d'appréciations qui, ajouté à un brillant état de service, viendront alléger les charges qui vont peser sur lui lors des "incidents" de mai 1917, mais ne pourront empêcher l'homme d'être placé en réserve de commandement par Franchet d'Esperey. Affecté à l'été 1917 à l'état-major de la 15e région, à Marseille, il passe ensuite à celui de la 4e région, début 1918. Cette sombre période coïncidera avec la disparition de son fils, jeune aspirant du 358e RI, tué au feu au camp des Romains. Brisé, Jèze poursuit néanmoins son commandement au 232e RIT, puis, après la fin de la guerre, au 12 régiment de chasseurs polonais. Mais en 1922, l'homme est atteint par la limite d'âge pour faire valoir ses droits à une pension. Retiré des contrôles, il sera définitivement rayé des cadres le 17 avril 1927.

23 nov. 2010

La mort au fond du bois

Après Marcel Felser, d'autres soldats du 36e régiment d'infanterie photographient la mort dans les bois de Beaumarais, pendant l'hiver 1914-1915. Paul Chevalier, dans un cliché non légendé (ici à droite), montre un tumulus surmonté d'une croix entouré d'eau. Quant à Fernand Le Bailly (à gauche), il saisit sous son objectif "Herman", un homme de sa liaison, se recueillant devant un tertre. Plus tard, il légendera la photo : "Tombes de nos camarades au milieu de nos gourbis. Fév. 1915". Au fur et à mesure des mois, des cimetières provisoires vont être créés dans le bois de Beaumarais, dont le cimetière de Monaco (ici photographié en 1917), à proximité de la route de Cary à Craonnelle, sera certainement le plus vaste. Ils seront pas la suite regroupés dans les nécropoles, comme celle de Pontavert.

16 nov. 2010

Vers l'inconnu et l'au-delà

"Sous l’enchevêtrement de fils de fer, des pins arrachés, des dalles écrasantes, c’est un long alignement de croix ; chacune est doublée d’une ombre qui la caricature, et chacune porte le même mot, souvent tronqué là où l’obus brisa le bois : “inconnu”, – “inconnu”, – “inc…” Quand Alain sortit de ce passage, dans la tranchée retrouvée, ce mot, comme une chanson funèbre, hante encore son esprit." (Philippe Barrès, La Guerre à vingt ans, Plon, 1924.)


Les combats autour de Charleroi, en septembre 1914 ont laissé nombre de soldats non identifiés, dont certains appartenaient au 36e  régiment d'infanterie. Après la retraite des Français, les Allemands se sont chargés d'inhumer ces combattants. Ils sont aujourd'hui regroupés dans quelques nécropoles, comme ici en Belgique, à la Belle-Motte. Le 10 et le 11 novembre 1920, il y a quatre-vingt dix ans, était transféré de Verdun à Paris la dépouille du Soldat Inconnu. Pour commémorer cet événement, une exposition de photos vient d'ouvrir ses portes aujourd'hui, à l'arc de triomphe de l'Etoile, à Paris. Pour télécharger le dossier de presse de cet anniversaire, sur le site Verdun Meuse, cliquez ici


11 nov. 2010

Le flâneur du 36e : commémorons sous la pluie

11 novembre 2010, place de l'Etoile, Paris.
Quelques jours après l'hommage au général de Gaulle, Nicolas Sarkozy est venu s'incliner
devant le tombeau du soldat inconnu.

5 nov. 2010

Le mystère Felser

Un halo de mystère entoure encore le travail de Marcel Felser. Ce soldat, jeune ingénieur électricien, qui connaîtra la guerre des tranchées pendant quatre ans sur le front alsacien, a laissé derrière lui une collection de près de 400 clichés sur plaques de verre et négatifs, qui ont fait l'objet d'un livre paru en 2002 (ci-contre). Des prises de vues non légendées, étonnantes de pudeur, où la violence est proscrite. Des photos qui disent la destruction de la forêt vosgienne, et où la guerre se lit sur les visages de ses camarades, cadrés comme autant de paysages.
Marcel Felser fit l'essentiel de la guerre au 1er régiment du génie. Mais selon sa fiche matricule (fiche reproduite en ouverture de l'ouvrage qui lui est consacré), il fut affecté dans les premiers mois du conflit au 36e régiment d'infanterie. Après s'être présenté au dépôt de Caen, il fut envoyé sur le front, alors que le régiment stationnait dans les bois de Beaumarais. C'est là sans doute qu'il reçut sa formation militaire. Par une froide journée d'hiver, il saisit une scène avec son objectif montrant un soldat se recueillant devant une sépulture, sur laquelle on peut lire "J.B. Duval, 36e d'Inf, 3e Cie" (photo ci-dessous) Il s'agit de la tombe du manchois Jean Baptiste Duval, natif du petit village de Digulleville, tué le 27 janvier 1915 au soir dans un bombardement du mont Hermel.
Une photo de Marcel Felser réalisée dans les bois de Beaumarais
pendant l'hiver 1915 (© Laurent Felser)
Cette photo est la seule identifiable, à ma connaissance, réalisée par le jeune garçon de 21 ans dans les bois de Beaumarais. Il photographiera bien d'autres cimetières, de plus en plus vastes au fur et à mesure des années. Son objectif capturera aussi des images de ruines, de tranchées, de la gare de Thann, de sa future femme… Des images d'une grande modestie, dont l'homme ne semble s'être jamais départi tout au long de sa vie. Démobilisé en 1919, Marcel Felser vivra dans l'Yonne, où il sera directeur régional de l'Urbaine Electrique, à Auxerre. Lors de la Seconde Guerre mondiale, il s'engagera dans la Résistance, mais il sera arrêté le 15 octobre 1943, à la suite sans doute d'une dénonciation (lire le bulletin n°11 de l'Arory). Déporté en janvier 1944 à Buchenwald, il y mourra le 17 décembre de la même année. Selon son petit-fils, Laurent Felser-Martinelli, sa dernière lettre se terminera par ses quelques mots : "Foi, Courage, Espérance, Confiance."

A lire : Un regard sur la Grande Guerre : photographies inédites de Marcel Felser, de Stéphane Audouin-Rouzeau, éd. Larousse, 2002.

2 nov. 2010

Le flâneur du 36e : le jour des morts

2 novembre. Après la Toussaint, où l'on honore les saints, vient la commémoration des fidèles défunts. Photo : la sépulture d'Emile Martin, soldat du 36e RI, natif d'Arques, dans le Pas-de-Calais, tué le 28 janvier 1916 près de Foucaucourt (80). Peinture : Le Jour des morts, peint par William Adolphe Bouguereau (1859).

21 oct. 2010

"Devant Craonne" (II)

Continuons le récit que Paul Chevalier fait de sa vie, et  celle du 36e régiment d'infanterie, dans les tranchées du bois de Beaumarais, dans l'Aisne à l'hiver 1914-1915. Dans cette deuxième et dernière partie de son texte, l'homme décrit longuement l'approvisionnement, l'ennui et le moral à l'étiage de ses camarades.

Paul Chevalier, du 36e RI, devant un abri,
 dans les bois de Beaumarais.
"Durant ces dix jours, les vivres ne nous ont pas manqués. Chaque jour, nous avons touché du vin, de l’eau de vie et même du tabac, le plus rares sont les bougies et les allumettes, voire le papier pour écrire ce que l’on ne pouvait se procurer qu’au prix des plus grandes difficultés. Le moral est assez bon en général quoique le temps semble très long pour rien. Bien souvent, pendant ces longues nuits de veille j’ai songé à toute l’horreur de la guerre présente, et j’ai souffert devant toutes ces ruines. De ces jours il me restera toujours des souvenirs très pénibles. Dans cette lutte sans merci, nos pertes sont sensibles et le moral affaibli, car rester continuellement au même endroit sachant que la mitraille va tomber d’un moment à l’autre influe sur le cerveau, même aux tempéraments les mieux trempés (1), aussi puisque j’y pense, je vais dire un mot sur la nourriture. C’est que les hommes ne mangent pas l’ordinaire, il est froid et, en général, c’est un rata (bœuf et haricots) transporté dans des marmites la nuit au travers des boyaux tortueux (2) ; il arrive forcément mauvais et les hommes ne le mangent que le jour suivant ; le pain a l’air pas assez cuit. J’ai la cruauté de parler de la propreté personnelle : pas d’eau, juste pour boire, aussi nous sommes d’une saleté repoussante avec cela l’invasion des rats de cour dégageant une odeur infecte. Mes impressions de cette prise de tranchées sont que les hommes sont complètement épuisés et s'il fallait nous voir ce matin au retour, c’est piteux : des traînards tout au long de la route. Les hommes marchent péniblement et la fatigue était peinte sur le visage. C’est une chose dont on parle peu mais qui est primordiale : la fatigue du troupier existe, ne l’oublions pas ! Plus on va, plus je vois combien cette chose est horrible et pénible. Le mal commence à se faire sentir chez tout le monde aussi ce n’est que cris et que haine de tous côtés que l’on entend. Enfin espérons, grâce à Dieu, que la fin de ce cauchemar approche. Nous avons passé le réveillon dans cette position. Les Allemands l’ont fêté joyeusement, cris, chants, cantiques, tout y était (3). Il nous ont causé demandant de ne pas tirer et souhaité joyeux Noël. Le calme chez nous, impressionnant, a fait plus à tous que leurs bruits. On sentait ou chacun plaçait le devoir. Cela n’empêche pas que toute la nuit nous avons redoublé de surveillance et que, de temps à autres, des coups de feu furent échangés mais sans attaque quoi qu’il s’est passé quelque chose à notre droite (4).
Nous sommes au repos pour quelques jours seulement. Nous sommes à Zel les hameaux à quelques kilomètres d’Aubigny (5), à vingt kilomètres de la ligne de feu. J’oubliai de dire que durant cette période j’ai eu la peine de voir un de nos avions descendu par les avions ennemis. La lutte a été courte, quelques coups de mitrailleuses et notre avion a fait un tour sur lui même et est tombé. Toutefois le pilote a eu le temps de redresser son appareil pour aller dans nos lignes et les allemands tiraient tant qu’ils pouvaient des coups de fusils sur cet oiseau blessé. Quelle triste journée."


Pour lire la suite du carnet de Paul Chevalier, en Artois, c'est ici.

Notes :
(1) A Beaumarais, les craintes liées aux tirs tirs de l'artillerie allemande angoissaient tellement les hommes et les officiers, que le colonel Viennot préconise, fin janvier, la mise au point d'un dispositif pour attirer les tirs de l'artillerie sur la cote 120.
(2) L'objectif de Fernand Le Bailly montre que les cuistots et les "roulantes" ont suivi les soldats dans les bois de Beaumarais.
(3) Le 25 décembre, le capitaine Rosay, de la 8e compagnie, note dans son rapport de patrouille : "Les Allemands ont célébré la veille de Noël par des chants qui se sont succédés pendant presque toute la nuit, avec accompagnement de flutes et probablement de violons." 
(4) Dans la journée du 24, les Allemands montrent une certaine nervosité. Durant la nuit, selon le JMO de la 5e division, ils entretiennent des fusillades nourries et lancent de nombreuses fusées. "Il y a eu échange de nombreux coups de fusils entre les tranchées de première ligne dans le secteur dans le secteur compris entre le Choléra et la Ville-aux-Bois (à droite des bois de Beaumarais, NDR)."
(5) Information énigmatique.

18 oct. 2010

"Devant Craonne" (I)

Si Jean Hugo ne consacre que quelques lignes à la vie dans le bois de Beaumarais, Paul Chevalier a, en revanche, écrit un long texte, intitulé “Devant Craonne”, avec de nombreuses informations sur les conditions de vie dans les tranchées du 36e régiment d'infanterie. Le combattant évoque longuement l’atmosphère de désolation du lieu, au milieu des vestiges des combats précédents. En voici un premier extrait, annoté plus bas. 

Photo ci-dessus: Le sous-secteur n°2 des bois de Beaumarais (ici à gauche),
que mentionne par Paul Couturier. Au fond du champ,
on distingue le talus de l'ancienne ligne de chemin de fer
 “Après avoir quitté les tranchées champenoises et puis quelques jours de repos, nous sommes allés occuper la forêt de Beaumarais, aux pieds du plateau de Craonne . Notre emplacement est à la lisière d’une large clairière, bordée à notre gauche par une ligne de chemin de fer (1). C’est de cette place et pendant dix jours que nous sommes restés à 100 ou 120 mètres de l’ennemi. En avant de la lisière du bois, des cadavres allemands gisent pêle-mêle depuis des semaines et quelques soldats français le long du talus de chemin de fer qui en est rempli (2). A quelques mètres de nous , il y en a encore, les uns sont déséquipés, les autres entièrement équipés. Dans ce coin de forêt il s’est passé quelque chose de pénible. C’est eux qui voulaient reprendre notre position ; ils se sont ramenés en force, mais l’on veillait et bien vite ils furent arrêtés (3). J’en ai vu des sections entières, par quatre, couchées sur place, des lignes de tirailleurs alignés comme à l’exercice, peut-être blessés. Ils sont tombés aux pieds de nos abris ; tous ceux-là fauchés. Il y en a placés en travers du rail, à deux mètres de nos sentinelles. Quel spectacle horrible, et plus terrible encore, c’est qu’on ne peut les enterrer et celui qui se montre est de suite une cible vivante. Les Allemands occupent la lisière en face de nous ; une tranchée occupée nous sépare (4). D’après les reconnaissances que nous avons faites, elle est remplie de cadavres. Tout cela nous fait vivre dans une atmosphère d’odeurs tout le temps épouvantable (5). Nos abris sont creusés dans la terre et recouverts autant que possible de bois assez résistant sur lequel on met de la terre, puis l’on pique les branchages pour cacher le tout des yeux de l’ennemi. De longues sapes nous relient. Le bois n’est pas beau à voir ; pas un arbre n’est intact, pas une place qui n’ait pas reçu d’éclats d’obus de gros calibres ; ils sont tous couchés ou arrachés. Partout des débris de toutes sortes : fusils, vêtements, sacs français et allemands, de tous côtés. De temps à autres, des tombes de soldats français. C’est au milieu de toutes ces ruines que le régiment vit, car nous vivons, et c’est à peu près l’organisation des tranchées, car tout le monde est en fait ici au lieu d’être cantonnée en arrière dans un village (6). Les vivres régimentaires nous sont apportées la nuit au milieu de grandes difficultés. Notre correspondance, nos colis, tout cela arrive avec du retard, mais cela arrive, et nous-mêmes nous pouvons écrire chaque jour à ceux qui nous sont chers. Notre vie, elle est bien simple. Toujours en éveil, échange continuel de coups de fusils. La nuit, au moindre bruit, tout le monde est prêt ; on prend du repos comme l’on peut, une heure par-ci par-là. Le plus dur est le canon ; chaque jour (7) les Allemands bombardent nos positions et nous envoient d’énormes percutants (obus autrichiens) ou bien leurs 77 moins dangereux, ou bien encore des shrapnels dont les effets sont terribles. Mais le plus terrible, c’est que l’on ne peut bouger et il faut attendre qu’ils s’arrêtent. Notre canon s’en charge. Nous assistons à des duels terribles. J’ai pu voir les effets que produisent les obus : ils sont terrifiants. Leurs abris sont complètement éventrés. Chaque jour, notre canon fait parler de lui et inonde leurs positions. La nuit des projecteurs ne cessent d’éclairer. Notre canon parle, mais le leur est silencieux, à part quelques shrapnels de temps à autres. Le plus pénible, c’est la nuit où les contre-attaques sont possibles, des heures en anxiété debout presque continuellement dans cette position.” 

La suite du texte de Paul Chevalier : cliquer ici.

Notes :

(1) Il s’agit du sous-secteur n°1 des bois de Beaumarais, situé à droite du bois. Les Allemands se retranchent dans le bois de Chevreux et dans le village de Craonne. Sur la carte IGN, la ligne de chemin de fer, que mentionne Paul Chevalier, (que l’on peut voir sur cette carte photo) figure encore, à proximité de la ferme de la Renaissance.
(2) Paul Chevalier évoque certainement les combats qui ont opposé le 6e, le 123e RI aux Allemands le 23 septembre lors d’une attaque sur le Parc de Craonne...
(3) ... suivi d’une contre-attaque allemande, le 26 septembre, où les soldats de Guillaume attaquent en “masses compactes”, selon le JMO du 6e RI. Le 6e régiment d’infanterie prendra part à de nouvelles tentatives pour enlever Craonne du 12 au 14 octobre. Sans succès.
(4) A la lecture du rapport des patrouilles effectuées par le 36e RI, cette tranchée avancée, qui reliait des trous de “tirailleurs”, était la plupart du temps vide. Située dans le no man’s land, elle reliait la ligne de chemin de fer à l’actuelle D19. Les patrouilles de reconnaissance qui y sont effectuées mentionnent la présence de nombreux détritus. Elle sera par la suite inondée.
(5) Le 16 mars 1915, Voisin, chef du 2e bataillon, écrit dans un rapport : “Le secteur devient très pénible à cause de la proximité des cadavres allemands. Le soir surtout une odeur pestilentielle se dégage de la terre. Les hommes ont une tendance aux vomissements. La 6e compagnie relevée ce matin avait beaucoup plus de malades (...) Les hommes envoyés en patrouille ou en reconnaissance dans le secteur, qui auparavant étaient tous volontaires, ont une répugnance chaque jour plus grande, le stationnement auprès des lignes de cadavres qui sont encore en bien plus grande quantité derrière la crête (la cote 67 sur la carte IGN, NDLR), devenant épouvantable par l’odeur qui s’en dégage.” Le 30 mars des mesures de désinfection sont prises sur "150 cadavres allemands". Elles sont poursuivies jusqu'en mai, à l'occasion de patrouilles où les soldats arrosent les cadavres de crésyl.
(6) A partir de décembre 1915, le deuxième et le premier bataillon du 36e RI tiennent cette partie du bois, de six à parfois quinze jours d’affilée. Le 3e bataillon, de son côté, garde le plus souvent le sous-secteur n°2, situé à gauche des bois de Beaumarais. Le cantonnement, lorsqu’il a lieu, se fait à Chaudardes.
(7) Les duels d’artillerie ne font que s’intensifier de décembre à mai 1915 dans les bois de Beaumarais. Avec le mois de février, l'on compte pratiquement un bombardement tous les deux jours (on comptera une moyenne de 350 obus). Et, parfois, la mort fauche au hasard.

5 oct. 2010

L'invité du 36e : Serge Barcellini, quand la Meuse passe du Souvenir à l'Histoire

A l’approche du centenaire de la Première Guerre mondiale, la Meuse se lance dans une vaste politique de refondation de sa politique mémorielle. Le 9 juillet 2009, le conseil général votait un ambitieux projet visant à réinstaller le département comme acteur essentiel de la Grande Guerre. Un an après, où en est-on ? Serge Barcellini, directeur de la Mission histoire auprès du conseil général, répond à nos questions.

Qu'est-ce qui a présidé à la mise en place du rapport "Le Temps de l'Histoire" dans la Meuse ?
Serge Barcellini : Le département de la Meuse, et plus spécialement le champ de bataille de Verdun, est le lieu par excellence de la mémoire de 14-18. Entre 1920 et 1980, Verdun n’a pas eu de concurrent. Avec les carillons commémoratifs réguliers que sont les commémorations de Verdun, le troisième dimanche du mois de juin, et tous les cinq ans, la venue du Premier ministre, et celle du président de la République, tous les dix ans, Verdun s’est imposé à tous. Les années 80 sont marquées par le réveil des autres sites de mémoire, ceux de la Somme, avec Péronne, et depuis 10 ans, ceux du Pas-de-Calais, de l'Aisne, de l'Alsace... Le champ de bataille de Verdun est entré dans le marché mémoriel concurrentiel, même si les visites annuelles demeurent importantes, entre 300 et 400 000 visiteurs en moyenne. Comment dès lors adapter le champ de bataille de Verdun, et globalement la Meuse, à cette concurrence ? Comment adapter ses champs de bataille face à une demande qui n'est plus celle de 1930 ? Tel est l’ambition du rapport "Le Temps de l’Histoire".

Quelles sont les propositions contenues dans ce plan ?

Nous avons défini 32 projets, qui vont être progressivement mis en oeuvre. Le projet numéro un a été de structurer la Meuse mémorielle en cinq grandes zones : la ville de Verdun comme capitale mondiale de la Grande Guerre, le champ de bataille de Verdun, les sites de combat de Saint-Mihiel, les sites de combat de l'Argonne et l'arrière-front français. À partir de ce projet, 400 à 500 sites visitables ont été identifiés. Trois grandes dates fédératrices ont été définies : les "quatre jours de Verdun", en juin, la journée du patrimoine, qui se tient chaque troisième dimanche de septembre, et le 11 novembre. Ces dates sont aujourd’hui les supports d’une animation mémorielle refondée.

Vous dites vouloir réarticuler une offre face à une nouvelle demande. Quelle est cette demande et qu'est-ce que les gens attendent de sites comme Verdun ?
Sociologiquement, nous avons plutôt à Verdun une demande de scolaires et de familles. Cela veut dire que l'on ne peut pas augmenter les prix d'entrée des musées. Cette clientèle est aussi une clientèle de proximité – la clientèle parisienne et internationale est limitée. Quant au public scolaire, on compte, à Verdun, entre 60 et 70 000 scolaires par an. C'est l'enseignement de l'histoire qui est le moteur de la visite. Mais lorsque ce n'est pas les scolaires, qu'est-ce qui prime ? Il y a 30 ans, c'était les pèlerins. Aujourd'hui, nous avons une formidable montée due à la généalogie familiale. C'est un des moteurs forts des visites des champs de bataille. Sur les 20 000 Américains qui viennent visiter le site de Saint-Mihiel et Romagne-sous-Montfaucon, la majorité sont à la recherche de leur aïeul. Nous sommes là dans une nouveauté : la réappropriation de la Première Guerre mondiale à travers l'histoire familiale. C'est ce que j'appelle le temps de l'Histoire. Après le temps du Souvenir (1918 à 1968), et le temps de la Mémoire (entre 1968 et 2008), est venu le temps de l’Histoire. Alors que le temps du souvenir partait du national vers l’individu, le temps de l’Histoire part de l’individu vers le national. Lors de la visite de Nicolas Sarkozy, le 11 novembre 2008, vous aviez ainsi pour la première fois des participants qui tenaient à bout de bras la photo de leur grand-père poilu.

C'est la raison pour laquelle l'une de vos propositions, dans votre rapport, consiste à mettre en ligne l'ensemble des fiches matriculaires ?

Oui. Nous devons nous adapter à cette nouvelle demande. Or celle-ci est de plus en plus individualisée. Comment répondre à cette attente ? 8 500 000 combattants français ont participé à 14-18. 1 300 000 ont été tués. Ceux qui ont été tués possèdent une fiche "Mort pour la France" aujourd’hui mise en ligne sur le site "Mémoire des Hommes". Ce document est excessivement limité. Or nous possédons pour les 8 500 000 soldats, des fiches matriculaires détaillées, qui nous disent tout : la taille, la couleur des yeux, l'adresse, et, surtout, toutes les affectations entre 1914 et 1918. Ces fiches présentent deux défauts majeurs : leur propriétaire, l’Etat, les a redistribuées dans chaque département et leur encadrement juridique, jusqu'il y a peu, ne permettait pas de les mettre en ligne, car elles présentaient, pour certaines, des renseignements médicaux. Pour le centenaire, une dérogation sera sollicitée afin de pouvoir les numériser et les mettre en ligne. Ça veut dire que toute personne voulant construire sa généalogie pourra retrouver quelqu'un de sa famille, sachant que sur les 8 500 000 combattants français, entre 2 millions et 3 millions sont passés en Meuse.

L'autre proposition de votre rapport porte sur le classement Unesco du champ de bataille de Verdun. Où en est-on ?

C’est un pari difficile. Un pari qui génère quantité de problèmes. Premièrement l’Unesco n'a en effet jamais classé de sites "guerriers", à l’exception des forts de Vauban. Deuxièmement, je soutiens depuis l'origine que l'on ne peut pas demander l’inscription de Verdun, mais que l'on est obligé de solliciter le classement du plus grand nombre de champs de bataille de la Grande Guerre en Europe. Pourquoi l'Unesco classerait Verdun et non un champ de bataille en Italie, ou en Roumanie ? L’enjeu de la globalité s’impose à nous.

Mais les classements sont toujours nationaux à l'Unesco ?
C’est vrai. Rares ont été les classements à plusieurs entrées nationales… Il y en a quelques-uns. Mais je crois fondamentalement que cette approche est la bonne. Car beaucoup de pays sont concernés par ce conflit. L'Europe de l'Est se réveille et redécouvre 14-18, une manière pour elle de retrouver une identité nationale. Le Commonwealth accorde, comme chacun sait, une énorme importance à ce conflit. La Turquie aussi se réveille, dans le cadre de sa demande d’entrée dans l’Europe. Et l’on compte de nombreux pays d'Afrique qui redécouvrent ce conflit. Enfin, en France, les régions, les départements et un certain nombre de villes portent un intérêt qui va grandissant à la Grande Guerre. Je pense, par conséquent, que ces demandes vont être tellement fortes que le classement Unesco pourrait s'imposer de lui-même. Mais il faut savoir que nous ferons d'abord une demande de classement ouvert : on sollicitera l'inscription de quatre ou cinq sites avec la potentialité d'élargir ce classement lorsque les autres sites répondront aux critères. J'ajoute enfin qu'un autre classement sera entrepris, celui au patrimoine européen du champ de bataille de Verdun. Ce site est éminemment européen par son histoire (la division de l’Europe) et sa mémoire (la réconciliation).

Dans votre projet, vous faites des propositions pour la zone de "l'arrière-front français", soit le territoire du département en deçà de la ligne de front fixée après la victoire de la Marne. Qu'en est-il de l'arrière-front allemand ?
L’arrière-front allemand par rapport à l'arrière-front français présente une différence essentielle : il est éphémère. Il commence en septembre-octobre 1914 et finit en septembre-octobre 1918. L'arrière-front français, lui, ne bouge plus à partir de 1914. L’arrière-front allemand disparaît avec les offensives de Saint-Mihiel et de Meuse-Argonne. Lorsque vous êtes en Argonne vous avez à la fois un arrière-front allemand et une mémoire américaine... Donc, à l'heure actuelle, l'idée est simple : c'est de sauvegarder sur le maximum de sites une mémoire allemande. Mais, pour cela, il faut que l'Allemagne soit partenaire.

Justement, les Allemands sont-ils associés à votre démarche ?
Oui, mais lorsque l'on parle des Allemands, il faut savoir de qui il s'agit… L’Etat fédéral ne s'engage pas sur les politiques de mémoire – en France, c'est le contraire, puisque vous avez un ministère de la Défense qui est un acteur essentiel des grands projets mémoriels. En Allemagne, ce sont les Länders et certaines communes qui lancent des actions de mémoire. Mais ils le font sur leur territoire. Vous avez également la Volksbund Deutsche Kriegsgräberfürsorge, le service d'entretien des sépultures allemandes. Mais il n’intervient que dans les nécropoles… De même, il est difficile de s'appuyer sur les universitaires allemands, car la période de 14-18 est faiblement enseignée en Allemagne. Prenez Berlin, qui est une extraordinaire ville mémoire : la tombe du soldat inconnu de 14-18 n’est pas matérialisée et dans le musée historique de Berlin, la place de la Grande Guerre par rapport à la Seconde Guerre mondiale est infinitésimale. En installant le drapeau allemand sur le fort de Douaumont nous avons cependant montré notre volonté. A l’Allemagne désormais de saisir le partenariat.

Revenons au rapport "Le Temps de l'Histoire". Où en est-on de sa mise en place ?
Le dossier avance. Si certains projets ont du mal à décoller en particulier ceux qui doivent se développer sur la commune de Verdun, nous serons prêts en 2014. La Meuse sera en capacité d'être attractive. Le programme du centenaire, qui prendra appui sur ses sites refondés pourra dès lors prendre son envol.

Quel rapport les Meusiens entretiennent-ils avec la mémoire 14-18 ?
Le travail sur le ressenti des Meusiens n'a jamais été effectué. J'en veux pour preuve un presque Meusien comme l'historien Fernand Braudel, qui ignore complètement la guerre 14-18. Il fait ses premières études sur la Meuse et en Meuse, il publie des dizaines de livres, mais jamais il ne parle de 14-18. Ce territoire a longtemps porté le deuil de son histoire. Il était devenu une zone de cimetières, un lieu de zone rouge, un département laissé-pour-compte, qui a vécu la Première guerre mondiale comme un fardeau, et, accessoirement, comme un lieu de pèlerinage. Tout le pari d’aujourd'hui est de montrer que l’histoire de la Première Guerre mondiale est un facteur positif de la vie économique à travers le tourisme qu’elle peut engendrer. La cathédrale de Reims est entrée dans l'histoire, pourquoi les champs de bataille ne le pourraient-ils pas ? Entrer dans l'histoire, c'est aussi entrer dans le tourisme historique.

Comment votre rapport a-t-il été accueilli dans le département ?
En Meuse, il y a un émiettement des acteurs mémoriels, et quand vous devez faire quelque chose il faut d'abord vous entendre avec eux. Mon rapport a donc été voté, mais sa mise en œuvre est longue. Je vais vous donner un exemple : dans le texte qui a été voté, il est prévu que l'ossuaire de Verdun soit réadapté dans sa scénographie et devienne le lieu de la mémoire sacrée. Ce point particulier du texte a été approuvé par tous. L'ossuaire de Verdun, qui a vu le jour grâce à Mgr Ginisty, évêque de Verdun et qui rassemble les ossements de 160 000 soldats, Français et Allemands est un lieu profondément sacré, patriotique et religieux... Et lorsque vous souhaitez appliquer ce point du texte et que vous demandez que les vitrines, qui contiennent des casques, des obus, des fusils, qui n'ont rien à voir avec la mémoire du sacré soient déplacées, vous n'y arrivez pas. On vous répond que cela fait 50 ans que ce casque est là et qu'il ne doit pas être bougé. Un autre exemple : le règlement du champ de bataille de Verdun est assorti de multiples interdictions qui datent des années 1930. Ce règlement doit être repensé.

Avez-vous rencontré d'autres résistances dans la mise en place de votre rapport ?
Oui. Ne serait-ce que sur les mots. Lorsque j'ai parlé d'une nécessaire adaptation à la demande sociétale, on m'a répondu que puisque le site de Verdun était sacré il n'y avait pas de raison de s'adapter. Mais il y a aussi des résistances économiques, des craintes que le développement du champ de bataille amoindrisse d'autres sites. Enfin, il y a des résistances dues à l'histoire associative. Lorsque vous avez en face de vous des associations qui ont été créées en 1920, et dont la philosophie date de cette époque, vous avez du mal à expliquer qu'il faut tenir compte de l’évolution de la société. Mais il n'y a pas de raison qu'on n'y arrive pas ! En deux ans, les associations ont adhéré à 99 % à cette politique, et celle-ci se met en œuvre progressivement.

Comment s'est déroulé la récente manifestation "Les Quatre Jours de Verdun" ?
L'idée des "Quatre Jours de Verdun" est d’encadrer la commémoration traditionnelle de Verdun, cérémonie qui a été créée en 1920, dans une thématique annuelle, avec un colloque, des expositions, des publications, des épreuves sportives, etc. En 2009, le thème était celui des tranchées, en 2010, celui des peintres de la Grande guerre, avec trois expositions, un colloque, une marche sportive, les cérémonies traditionnelles. Pour la journée du patrimoine, les 18 et 19 septembre derniers, on a ouvert un certain nombre de sites ; l'année dernière on en comptait 19. Enfin, pour le 11 novembre 2008, le Président de la République est venu, et le 11 novembre 2010, on fêtera le 90e anniversaire du choix du soldat inconnu (de nombreuses opérations sont prévues autour de cet anniversaire, NDR).

A-t-on une idée de retombées économiques que ce plan peut apporter ?
Très honnêtement, c'est difficile. Si on s'y prend bien, plusieurs milliers d'emplois pourraient être créés de manière directe et indirecte. La potentialité de la Meuse, c'est un million de visiteurs. Ce volume a existé dans les années 1930, mais la demande de la société à l'époque n'était pas la même : c'était une demande de pèlerinages funéraires.

Que répondez-vous à ceux qui sont hérissés par ce passage du temps du souvenir, que vous avez évoqué au début de l'entretien, à celui du tourisme historique ?
C'est à mon sens strictement un problème générationnel. Le temps du souvenir, c'est deux générations. La mémoire, c'est deux générations. Le temps de l'Histoire s'ouvre après la quatrième génération. Si vous mettez 25 ans par génération, nous sommes que nous le voulions ou non entrés dans le Temps de l’Histoire. Il nous appartient donc de conclure cette mutation en respectant les croyances de chacun.

Et ceux qui évoquent une "disneylandisation" de Verdun à propos de vos propositions ?
L’un des débats aujourd'hui en Meuse tourne autour de la sacralisation ou non du champ de bataille. Il y a ceux qui souhaitent mettre sous cloche ce lieu, et ceux qui s'opposent à cette politique. Les premiers accusent les seconds de vouloir "disnelylandiser" le champ de bataille. Moi je dis simplement qu'il faut adapter les champs de bataille à la demande de la société d'aujourd'hui. C'est quoi la sacralisation ? Le champ de bataille de Verdun a déjà été sacralisé une fois, lorsqu'on l’a livré à la forêt contre l'avis des anciens combattants. Les vétérans ont combattu la transformation de ce lieu en "zone rouge". Pour eux, c'était une catastrophe. Le même débat s’ouvre à nouveau, faut-il transformer le champ de bataille de Verdun en parc naturel. Si ce projet aboutit, ce sera la victoire des coléoptères et des grenouilles à ventre jaune sur l'Histoire ! Je suis opposé à ce projet. Il faut que toutes les générations s'approprient ce champ de bataille, qui appartient à une histoire commune de l'Europe. Si l’environnement doit être au centre de notre réflexion, l’Histoire avec un grand H doit demeurer le moteur de l’aménagement des sites.

Mais que répondez-vous à ceux qui disent que Verdun va perdre son âme dans cette opération ?
Sur le champ de bataille de Verdun, vous avez grosso modo trois types de sites. Des sites historiques, comme le fort de Vaux, le fort de Douaumont, Froideterre, Souville… Ces lieux, il faut en garder l'authenticité au maximum. Il faut que les visiteurs aient l'impression que c'était comme ça, le 11 novembre 1918 - ce qui est le cas d'ailleurs. Vous avez également des sites de mémoire funéraire : ossuaires, nécropoles… Là, il faut garder cette mémoire, mais surtout l'expliquer, lui donner un sens. Il n'est pas toujours facile pour des promeneurs de comprendre le sens de la tranchée des baïonnettes. Enfin vous avez le mémorial qui est le site pédagogique par excellence. Il doit être renforcé. Cette politique n’a rien à voir avec une quelconque "disneylandisation". L'implantation d'une stèle à Fleury-devant-Douaumont, en mémoire des lieutenants Herduin et Millant, deux fusillés pour l'exemple, est-ce de la «disneylandisation » ? En érigeant ce monument, je trouve au contraire que l'on répond aux interrogations que peut se poser aujourd'hui la société contemporaine.

Beaucoup de gens craignent que l'on trouve des restaurants, des magasins…
On a un seul restaurant sur le champ de bataille. Il s'appelle "L'Abri du Pèlerin". C'est un lieu extraordinaire où sont passés : Pétain, Poincaré, Genevoix… Aucun autre restaurant ne doit être construit. Verdun doit être la ville de l’accueil des touristes.

Comment allez-vous vous adapter face à l'offre du musée de Meaux sur la Grande guerre, qui ouvrira ses portes en 2014 ?
Si l'on répond par un musée à un musée, par une scénographie à une scénographie, on ne gagnera pas. Il n'y a plus de place pour un grand musée sur la guerre 14-18 après Meaux. L'investissement pour ce musée coûtera deux à trois fois celui mis en place pour la politique mémorielle en Meuse ! Alors quels sont les atouts de la Meuse face à cette création ? L'authenticité. L’authenticité de 500 sites visitables. Dans la région de Verdun vous avez une histoire, une mémoire. Ici les hommes se sont battus. L'offre de Meaux, celle de la scénographie, est donc complémentaire de celle que nous offrons à Verdun. Le Centenaire sera celui du retour à l’authenticité ou il ne sera pas. Face à ce défi, le département de la Meuse est le mieux placé.

Interview réalisée en août 2010. Merci à Serge Barcellini d'avoir répondu positivement à ma demande. Les 32 projets de la Mission Histoire sont détaillés dans un document à télécharger à cette adresse.

26 sept. 2010

"Une nuit dans les tranchées devant Reims"

Ci-contre : une carte intitulée "Faßbrücke bei Courcy (bei Reims)" ("Pont flottant près de Courcy, à proximité de Reims"), envoyée en 1915.

Voici le deuxième et dernier extrait que Paul chevalier consacre, dans son carnet de guerre, aux tranchées de Courcy. L'auteur s'est-il inspiré de la panique qui s'empare de la brigade dans la nuit du 8 au 9 novembre 1914 ? Quelques indices pourraient le laisser penser.

"La journée n’a pas été trop troublée ; le canon s’est fait entendre. Quelques aéros ont survolé nos lignes. Le jour diminue faisant place à la nuit ; il fait froid. Chacun a sa place maintenant ; pas un feu, même pas une cigarette, pas un cri, pas un mot : les ordres se communiquent à voix basse. Nos sentinelles sont placées à 20 mètres de nous. Chacun à sa place guette ; il fait nuit noire. Pan ! Un coup de feu à notre droite : c’est une sentinelle qui vient de tirer, puis un silence. Chacun regarde devant lui le mieux possible, mais à mon poste d’observation je ne vois rien, j’entends seulement le bruit du vent et, dans le lointain, une fusillade mêlée de canonnade. On se parle d’oreille à oreille, une patrouille est sortie pour voir ce qui se passe ; faire bien attention à ne pas tirer sur eux.
"La fusillade se rapproche. C’est un bruit qui arrive petit à petit comme la marée.
(Et) Nos chefs de surveiller le mieux possible. Hélas, il fait tellement nuit que nous ne voyons pas à quatre mètres devant nous. A gauche (vers le bois de Chauffour, NDLR) , la mitraille gagne. Des ordres sont donnés : nous sommes attaqués. Les hommes tirent sans arrêt. Le bruit devient terrible. Les hommes se disent : "Et notre 75, on ne l’entend pas." Le ciel est éclairé par de grandes lueurs et des éclairs qui sillonnent à droite et à gauche. Quelle nuit horrible ! La fusillade continue. Tout à coup, nos batteries ouvrent le feu, les obus passent sur nos têtes et éclatent devant nous. C’est un bruit infernal. En arrière de nos lignes, les canons de sièges envoient de gros obus sur les positions occupées par l’ennemi ; pour mettre le comble, leurs canons ouvrent le feu et crachent des obus et des boîtes à mitraille sur nous. Un nuage de fumée et de poussière nous envahit. On ne distingue plus l’un de l’autre tellement le feu est ardent. On croirait être éclairés par des lampes à ???. Jamais un homme ne pourrait franchir la ligne de feu. C’est un enfer ; pas un endroit n’est intact ; partout la mitraille tombe, les balles sifflent au-dessus de nous, de ces sifflements de reptiles, ou viennent s’aplatir devant nos parapets. Que ces moments nous semblent des heures.
Enfin, l’on sent un ralentissement de l’intensité. Du feu, nos batteries se lassent ; les batteries allemandes ont cessé aussi... Peu à peu, la fusillade diminue, puis le silence de la nuit fait place à ce terrible cauchemar. Chacun regarde autour de lui, content de revoir des camarades, car dans notre compagnie, les pertes ont été insignifiantes ; puis peu à peu, chacun reprend son calme et l’attente continue. De temps en temps, le canon se fait entendre, puis quelques coups. Un silence de nuit passe sur nos têtes ; cela fait une drôle d’impression . Le reste de la nuit se passe dans le calme. C’est là les heures les plus pénibles, car la réflexion se met de la partie. L’on songe aux êtres qui vous sont chers, restés là-bas, qui, en ce moment, dorment et ne pensent pas à vous ; oui cela est terrible. Enfin, les étoiles disparaissent et l’aube arrive. Les alouettes commencent à chanter et le jour tant demandé apparaît."

22 sept. 2010

"Des morts qui n'en finissent pas de mourir"*

Six disparus du 36e régiment d'infanterie sous Brimont, du 14 au 17 septembre 1914, signalés dans la revue "Sur le Vif".
De gauche à droite : Marcel Warlet et Alexandre Cavelier (disparus le 14/09), Albert Martin et Yves Leguern (disparus le 15/09), Alexandre Letulle et Marcel Quettier (disparus le 17/09).
S'il fallait donner une illustration de la férocité des combats de la Grande Guerre, le pourrait-on en évoquant le cas des soldats disparus ? Dès les premiers mois de la guerre, les longues listes d'anonymes perdus dans la fournaise font leur apparition ici et là. Dès son numéro 2, l'hebdomadaire Sur le Vif, photos et croquis de guerre, paraissant depuis le 1er novembre 1914, ouvre ses colonnes aux personnes sans nouvelle de leur proche. La revue leur propose d'envoyer un portrait du soldat introuvable, accompagné de quelques lignes d'informations. Dès lors, chaque numéro égrènera son inventaire de "glorieux disparus".  Pour le 36e, ils concernent essentiellement des hommes disparus en Belgique, en août 1914, sous le fort de Brimont, en septembre 1914, et en Artois, en septembre 1915. Une liste de fantômes, au corps sans doute pulvérisé par un obus ou qui se sont vu abandonnés dans le no man's land après une attaque infructueuse et dont l'identification a été rendue impossible (au début de la guerre, les plaques d'identité mise en service en 1881 et que chaque soldat portait généralement au poignet n'étaient fournies qu'à un seul exemplaire prélevé du corps lorsqu'il était retrouvé)… Avec la fin de la guerre, quelques-uns seront retrouvés dans les nécropoles aménagées par les Allemands pendant l'occupation. Mais la plupart, sans dépouille, continueront d'être pleurés des années durant.


* J'emprunte la formule au texte de Thierry Hardier et Jean-François Jagielski "Le corps des disparus durant la Grande Guerre : l'impossible deuil". Merci à Bernard Labarbe, Jérôme Charraud et Laurent Soyer pour leur travail sur les disparus dans la revue "Sur le Vif".

9 sept. 2010

Au pays des ombres

Une photo prise par Fernand Le Bailly, dans les tranchées de Courcy, en novembre
1914 : "Notre tranchée de 1re ligne, cavalier de Courcy. Pas chaude la nuit !"
Voici les premières lignes non datées écrites par Paul Chevalier dans la plaine de Courcy. Froid, pluie, nuit... C'est l'heure de la relève pour une compagnie qui va en première ligne.


"La journée a été mauvaise ; la pluie, le vent ont donné aux heures présentes un peu de tristesse dans nos cœurs. La nuit vient sans que le jour n’ait paru complètement. Pas un moment les rayons du soleil n’ont apparu pour réchauffer nos cœurs ; c’est notre compagnie qui prend les tranchées de première ligne. On distribue un peu d’aliments, du pain, des sardines, du chocolat et chaque gradé réunit ses hommes, fait l’appel, il ne manque personne . 
En route sans un bruit, pas de feu surtout, l’ennemi est à 1500 ou 1800 mètres. La pluie et le vent font rafales, les hommes marchent sans un mot, on ne se distingue pas. Le second rang ne voit pas le premier, une nuit noire. Le sentier que nous suivons est tortueux et rempli d’ornières, les hommes buttent et tombent parfois, ils se relèvent sans un mot et reprennent leur place. La tempête redouble, on approche des lignes. On s’arrête, on se couche. Au ciel on voit des longues lueurs à droite et en face le canon gronde, on voit de temps à autre comme un éclair, c’est une bouche qui crache. On repart à travers d’énormes trous remplis d’eau. Ces trous sont faits par les obus. Quelquefois, pour ne pas dire souvent, on met le pied dedans et nous voilà mouillés. L’ennemi qui jusqu’à présent n’avait fait marcher ses canons, nous envoie quelques coups de feu. Cela nous importe peu, car la ligne que nous nous allons remplacer est là pour répondre. 
Enfin nous arrivons à notre emplacement. Chacun prend sa place de tirailleur ayant, je vous l’assure, de faire le moins de bruit possible. Les ordres sont transmis d’oreille à oreille. On organise le service, les uns pour les patrouilles, les autres comme sentinelles, car la nuit personne ne dort depuis le grand chef jusqu’au simple soldat. Une fois que l’on est casé, les premières heures passent souvent dans le calme. Chacun arrange la tranchée, la consolide se préserve du froid et de la pluie. 
La tranchée par elle même est une rigole creusée à hauteur de la poitrine, large de 50 cm à 1 m. Avec la terre que l’on retire, on fait un parapet devant soi aussi épais qu’il est possible pour empêcher les balles de passer ; chaque homme creuse ce que l’on appelle un créneau, sorte de couloir pour pouvoir tirer et distinguer devant soi. De place en place, il y a des postes d’observation réservés aux gradés d’ou l’on voit sans être vu. Une fois ces tranchées creusées, on les aménage : on creuse en arrière un couloir pour les cabinets, et, en arrière, encore une vaste chambre beaucoup plus profonde où les hommes peuvent se reposer . Le jour, cette chambre est couverte de bois de toutes sortes, de cailloux et par dessus de la terre sur un mètre. A l’intérieur, on y met de la paille et les hommes se couchent sans se déshabiller. Il y fait chaud par n’importe quel temps. La nuit, la surveillance est très vive. Les sentinelles se trouvent à 25 mètres en avant et sont quelquefois aux prises avec les patrouilles. De là, des coups sont échangés. Le canon ne se fait entendre qu’à la tombée du jour ou au petit jour, mais rarement en pleine nuit. Chaque homme a sa place qu’il garde durant l’occupation , c’est-à-dire pendant quatres jours. Là, il s’arrange une case pour se mettre à l’abri des obus ou des intempéries. Quelquefois, pendant le jour, les hommes causent entre eux, mais la vie en général est très monotone."


Pour lire la suite du carnet de Paul Chevalier sur les tranchées, à Courcy, c'est ici.

5 sept. 2010

Paul Chevalier, nuits et cafard

Outre les témoignages de Jules Champin, de Jean Hugo, et les photos de Fernand Le Bailly, un nouveau témoignage écrit par un combattant du 36e régiment d'infanterie vient de nous parvenir. Il s'agit du journal, tenu de novembre 1914 à février 1917, par Paul Chevalier.
Paul, Henri, Emile Chevalier naît le 5 septembre 1885. Il démarre son service militaire le 5 octobre 1908 et reçoit, au 156e régiment d'infanterie, caserné à Toul, le certificat d'aptitude à l'emploi de chef de section dans la réserve, ce qui lui permet d'avoir le grade d'adjudant au début de la guerre. Rappelé le 30 juillet 1914 à la caserne située 7, place des Batignolles, à Paris, dans le 17e arrondissement, il est affecté au 36e régiment d'infanterie de Caen, où il effectue une grande partie de la guerre.
Il est promu sous-lieutenant de réserve à titre temporaire pour la durée de la guerre le 7 octobre 1915, alors que le régiment se trouve dans la Somme. Cette même année, son frère Henri  (le 23 septembre 1915) est tué à la main de Massiges. Pendant la guerre, Paul reçoit la médaille militaire et deux citations à l'ordre de l'armée et du corps d'armée, lors de l'offensive du 25 septembre 1915, en Artois, et lors de l'attaque de Douaumont, le 22 mai 1916. En première ligne, il est blessé le 13 juillet 1917 près d'Urvillers (Aisne) en recevant des éclats de grenade au bras gauche et dans le rein. Puis il quittera le régiment pour être nommé lieutenant au 508e régiment de chars de combat.
Après guerre Paul Chevalier travaille au comptoir d'escompte de Paris, et suit des périodes de formation comme officier de réserve. Il est élevé au grade de chevalier de la légion d'honneur en 1923, et sera nommé capitaine six ans plus tard pour être rayé des cadres de la réserve le 6 décembre 1934. Son petit-fils, qui demeure à Strasbourg, nous a fait parvenir plusieurs documents écrits de la main de Paul. Il s'agit de feuillets écrits au crayon de bois, à peine lisibles, de lettres, et de coupures de presse de l'époque où le 36e RI est évoqué. Ces papiers sont complétées de photos, prises vraisemblablement dans les bois de Beaumarais, à Verdun, et en mars 1916.
S'il fallait trouver un registre au manuscrit de Paul Chevalier, ce serait celui de la douleur. Immergé dans cette tuerie, le jeune homme de 29 ans en 1914, exempt de tout esprit revanchard, souffre de sa situation et de celle de ses camarades. Mais il sait être aussi un étonnant narrateur lorsqu'il rapporte les relèves effectuées en pleine nuit et le sombre quotidien du "poilu" dans la tranchée de première ligne.

La guerre du soldat Paul Chevalier (36e RI)
(A suivre...)

23 août 2010

Le flâneur du 36e : Sambre mémoire

En hommage aux combats sur la Sambre d'août 1914, une cérémonie franco-belge particulièrement émouvante s'est tenue à la nécropole de la Belle-Motte, dimanche 23 août 2010, à quelques kilomètres de Charleroi. Elle a été l'occasion de saluer la mémoire des plus de 7 300 militaires français, tombés en quelques jours dans les combats de l'Entre-Sambre-et-Meuse. Lors de l’appel aux Morts, un témoignage fut rendu au 36ème RI, en lisant les noms des soldats, avec ceux d'autres régiments. Plus de 500 combattants du Calvados perdirent la vie lors de ces affrontements. (Photo : un moment de recueillement devant l'arc de la nécropole)

10 août 2010

Le flâneur du 36e : L'histoire au balcon


Perché sur la butte de Brimont, face à la route menant à la Verrerie. Au pied de la petite colline, la plaine où le 36e régiment s'enfouira dès le mois d'octobre 1914, et ce, pendant deux mois.

28 juil. 2010

"Le temps d'arrêt tant redouté"

Une photo de Fernand Le Bailly issue de son album, légendée ainsi :
"Papa, bibi de 2e classe. Nous venions de nous battre durant 14 jours,
sans répit (bataille de la Marne). Un peu fatigué, mais pas du tout démoralisé".
Suite et fin du récit de Fernand Le Bailly dans les combats autour de Brimont à la mi-septembre 1914. Avec son camarade Grégoire, de la coloniale, il tente d'enrayer la progression des Allemands.


"Et alors qu'au milieu de ce charnier, de cet enfer sans nom, ils nous eut été si facile à Grégoire et à moi de trouver un autre endroit, un coin où l'on puisse s'abriter davantage… comme le firent du reste les deux seuls officiers qui nous commandaient et que je n'ai jamais vus durant 2 jours ½ et 2 nuits, nous n'avons pas bougé de deux mètres.
Tous les deux nous sommes restés là, à tirer avec cette Cie (
compagnie, NDR) formée par divers débris – divers rescapés, au nombre de deux cents environ.
C'est ce jour-là qu'étant couchés coude à coude, à cinq, et tirant sans relâche, vers 4 h du soir, sous une pluie d'obus, un "105" s'abattit sur nous ou à côté, je ne l'ai jamais su.
Grégoire était à ma droite, les trois autres à gauche. Tout à coup, je me sens plonger dans la nuit, je ferme les yeux, un bruit de tonnerre ; je me secoue. J'aperçois la tête de Grégoire sortant de la terre, il me regarde d'un air abruti. Je jette un coup d'œil à gauche, j'aperçois mes trois camarades, toujours couchés, le fusil entre les mains. Je poussai celui qui est à ma gauche et lui crie pour qu'il m'entende : "
Comment trouves-tu le chocolat ?" A ma droite, la réponse ne se fait pas attendre, Grégoire vient de retirer un éclat d'obus, d'environ 35 cm de long, enfoui entre lui et moi, il me le présente en criant : "Tiens, v'la l'morceau de la casserole dans lequel on l'a cuit !"
Je ne puis m'empêcher de rire et à nouveau, je secoue mon camarade de gauche. Je m'aperçois qu'il était mort. Quelques instants après, je faisais l'horrible constatation qu'il en était ainsi des deux autres !
Comment les tr
ois malheureux ont-ils été tués ? Ils n'ont pas crié, ils ne portaient trace d'aucune blessure ? Ceci reste et restera toujours un mystère pour moi.
La pluie n'arrêtait pas. Les obus redoublaient d'intensité et tout autour de nous, ce n'était que morts, blessés, sacs et fusils abandonnés cependant que, les Allemands ayant réussi à nous prendre de flanc regagnaient du terrain et cherchaient à nous envelopper.
Il fallait hélas reculer ou se faire tuer sur place jusqu'au dernier. Ce dernier "mode d'emploi" fut le choix de notre colonel. "
Tenez, les enfants, tenez ferme jusqu'au bout" , tel fut son ordre qui circula de bouche en bouche. Le drapeau du 36e qui se trouvait le long du canal, derrière nous, venait de recevoir un éclat d'obus – déjà, le colonel l'avait fait entourer de sa garde. L'heure devenait de plus en plus critique. Une charge à la baïonnette sauva de nouveau la situation. De nouveau, les Allemands durent se replier. La nuit arrivant, nous en profitâmes pour nous porter plus à l'arrière, 200 m environ sur la ligne de défense naturelle du canal.
Ah quelle vision, quel spectacle nous était réservé ! Le long de ce canal, ce n'était que morts et blessés – quartiers de bœufs, de moutons, caisses de munitions, sacs remplis de pain et de denrées de toutes sortes. Le tout mélangé à une boue infecte d'où s'exhalait des odeurs ignobles, tandis que des cadavres d'hommes et de chevaux flottant dans ce même canal, nous interdisaient de boire cette eau.
Et nous en bûmes cependant, à longs traits ! Et nous mangeâmes aussi de ce pain en bouillie.
Nous passâmes notre nuit couchés pêle-mêle dans la boue. Vers 3 h du matin, la bataille recommençait (
sans doute la nuit du 16 au 17 septembre 1914, NDR). A 9 h, ordre nous arrivait de nous replier sur Merfy.
Comment durant 5 jours, nous nous étions battus sans répit, contenant l'adversaire, le refoulant même, et il fallait céder tout ce terrain si vaillamment défendu ?
Hélas, oui ! C'était l'ordre. Le colonel Bernard, les larmes aux yeux, nous rassembla et nous soutenant les uns les autres, nous longeâmes ce canal pendant 4 km, en bon ordre, muets, incapables de parler car chacun de nous sentait, comprenait que c'était là, pour longtemps, le temps d'arrêt tant redouté.
Ainsi se termina, pour nous, 36e, la belle offensive à laquelle nous prîmes part sur la Marne.
Elle avait duré 14 jours."



Avec cet extrait, le texte de Fernand Le Bailly, long de 63 000 caractères tapés à la machine à écrire, à partir sans doute de notes prises dans les bois de Beaumarais, s'achève. Mon arrière-grand-père, qui connaîtra pratiquement l'intégralité du conflit, n'écrira pas d'autre récit, sinon quelques lettres à ses proches. Ce récit sera transmis à son fils, Jean Le Bailly, qui me le fera parvenir. Qu'il en soit ici remercié à titre posthume.

26 juil. 2010

Fraternité, commodités et frugalité

La rue de la gare, le long des bois de Soulains. Le talus du chemin de fer,
où s'est battu Fernand Le Bailly, apparaît au bout du champ.
Où l'on retrouve le soldat Fernand Le Bailly, du 36e régiment d'infanterie. Après avoir échappé aux Allemands, et trouvé refuge dans la petite gare de Courcy-Brimont, l'homme rejoint son unité, placée le long du talus du chemin de fer qui relie Reims à Laon, et tente (sans doute le 16 ou le 17 septembre), avec ses camarades, d'endiguer l'assaut des Allemands. Voici la suite de son récit tel qu'il le consignera quelques mois plus tard.


"Trois heures plus tard, nous étions couchés en tirailleurs le long du talus du chemin de fer, tirant sans cesse sur les Allemands qui se trouvaient de l'autre côté. A 9 h du soir, nous tirions encore sans que que ni d'un côté, ni de l'autre, un mètre de terrain n'ait changé de mains.
A ce moment, alors nous parvint l'ordre de charger à la baïonnette ; nous allions nous élancer quand un contrordre survint. Seul, un bataillon qui se trouvait à notre gauche fut chargé de l'assaut qui fut décisif. Les "Boches" reculèrent et finalement battirent en retraite au milieu du champ d'aviation pour se réfugier ensuite dans les bois de Soulains, vers la gauche.
Nous couchâmes sur nos positions avec ordre pour le lendemain de les déloger des bois.
Un soldat du nom de Grégoire, un colonial, me voyant partir dans la direction d'une meule de paille distante d'environ 600 m de nous eut un geste pour moi comme seuls, entre nous, sur le champ de bataille, nous en avons. Il ne manque pas de beauté dans sa simplicité, on trouvera dans ce trait, répété à chaque instant sous mille formes différentes un exemple de ce sentiment indéfinissable qui existe chez tous à un degré plus ou moins développé et qu'on nomme couramment : la fraternité d'armes.
Il pleuvait à verse – trempés que nous étions et l'intensité du feu diminuant, je pars donc vers cette meule chercher de la paille pour Grégoire (qui me semblait harassé) et moi, enfin de nous en protéger durant la nuit.
Or, sans que je lui dise quoi que ce soit, Grégoire m'a deviné – s'élance, m'arrête et me dit "
Le Bailly, c'est mon tour, tu nous as sauvé la peau à tous hier, il y a encore beaucoup de balles qui passent dans la plaine où se trouve la meule, tu es marié, reste, moi j'y vais." Et ½ heure après, je revis mon Grégoire(soldat indiscipliné s'il en fut !) arriver avec deux bottes de paille et me dire "Tiens, t'as plus de tabac, j'en ai trouvé dans le sac d'un copain qui est tué : tu n'as pas d'outil, je vais te faire un lit." Et il se mit à creuser mon trou le long du talus, me recouvrit de paille, et je m'endormis, la cigarette aux lèvres, tandis que lui comptait ses cartouches et les miennes et me disait : "Eh bien mon vieux, je m'en vais au ravitaillement." Au petit jour, Grégoire, malgré les obus et les balles sommeillait du sommeil du juste, trempé comme une soupe (il m'avait donné toute sa paille !) A côté de moi : un tas considérable de cartouches et… ô bonheur : 2 biscuits et un paquet taché de sang !
Intrigué, je réveille Grégoire. Nous roulâmes une cigarette et en deux mots il m'expliqua : "
Tu comprends, tes patates d'avant-hier sont loin, rien bouffé hier… Rien bouffé cette nuit, presque plus de cartouches, j'ai été au ravitaillement."
Il avait tout simplement fouillé nos camarades tués la veille, au milieu desquels nous étions et en avait rapporté ces cartouches, les deux biscuits et… dans le paquet : de la cassonade. Où diable avait-il trouvé ce sucre brut, je ne l'ai jamais su.
Ce matin-là, n'ayant rien mangé d'autre que les pommes de terre en question depuis près de 36 heures, nous eûmes la joie, à dix, de manger deux biscuits et de la cassonade.
Ordre arriva de partir en avant. Nous n'allâmes pas loin, hélas ! L'ennemi, durant la nuit, s'était réorganisé.
Dans le champ d'aviation où, par bonds, nous avancions sous les rafales d'obus et sous un feu violent de tirailleurs "Boches" dissimulés dans les tranchées à environ 150 m de nous, nous fûmes fauchés comme du blé mur. Il fallut se replier.
Nous regagnâmes donc le talus de chemin de fer. Grégoire et moi nous retrouvâmes heureusement, nous nous réinstallâmes "dans nos trous" .
(...)
Qu'étaient devenus mes camarades Lhostis et les autres "rescapés" , je ne sais ?"



(A suivre…)

5 juil. 2010

Un régiment au fil des plages

Plus haut, l'acte de naissance d'Albert Beaufils, soldat du 36e,
natif de Saint-Fromond, tué à Beaumarais le 11 mars 1915.
Après les archives départementales du Calvados, c'est au tour des archives de la Manche de proposer la consultation de leurs fonds sur le Net (lien : http://archives.manche.fr/). A l'aide de leur moteur de recherche dédié, on peut fouiller dans l'intégralité des registres paroissiaux et d'état civil, le cadastre napoléonien, les inventaires des archives départementales, le catalogue de la bibliothèque, ainsi que les plans, photographies, les cartes postales (au nombre de 44 000), des affiches et des témoignages sonores. A noter que cette recherche est gratuite, contrairement à ce qui est proposé dans les structures calvadosiennes.