Pourquoi ce blog et comment le lire ?

Cette page, qui n'a pas la prétention d'être exhaustive, est un hommage rendu aux hommes du 36e régiment d'infanterie que mon arrière-grand-père, Fernand Le Bailly, a côtoyés, parfois photographiés pendant la Première Guerre mondiale. Elle souhaite conserver et transmettre leur souvenir. Elle est conçue à partir de témoignages, d'écrits et d'archives personnels qui m'ont été envoyés, en partie par des descendants de soldats du 36e. Elle est aussi un prétexte pour aller à la rencontre d'"invités" – historiens, passionnés de la Grande Guerre, élus, écrivains... – qui nous font redécouvrir aujourd'hui ce titanesque conflit. Elle est enfin un argument pour découvrir tous les prolongements de ce gigantesque conflit dans le monde d'aujourd'hui.
Comment consulter cette page ? Vous pouvez lire progressivement les messages, qui ne respectent pas un ordre chronologique (ils évoquent, par exemple, l'année 1915 ou 1914). Vous pouvez aussi avoir envie de vous attarder sur une année ou un secteur géographique : pour cela, cliquez dans la colonne à gauche dans la rubrique "Pages d'histoire du 36e" sur la période et le lieu qui vous intéressent. Tous les messages seront alors rassemblés pour vous selon l'ordre de publication.
Comment rentrer en contact ? Pour de plus amples renseignements sur ce site, ou me faire parvenir une copie de vos documents, vos souvenirs ou remarques, écrivez-moi. Mon adresse : jerome.verroust@gmail.com. Je vous souhaite une agréable lecture.

Avertissement : Si pour une raison quelconque, un ayant-droit d'une des personnes référencées sur ce site désire le retrait de la (les) photo(s) et des informations qui l'accompagnent, qu'il me contacte.

13 janv. 2009

L'invité du 36e : Donald Browarski, mémoire vivante de l'Artois

Passionné de la Grande Guerre, Donald Browarski est une singulière et attachante mémoire des batailles de l'Artois et de son village de Neuville-Saint-Vaast. Depuis 1962, il anime un étonnant musée* à la mémoire des soldats morts dans la commune. Il a bien voulu répondre à quelques-unes de mes questions.

Pouvez-vous vous présenter en quelques mots...
Je suis français d'importation comme mon nom l'indique. Mes parents sont arrivés en France en 1923 - mon père était Ukrainien. Je suis né en 1927, à Liévin. J'ai occupé quelques emplois aux Houillères, puis après-guerre, j'ai fait une carrière dans l'armée en Indochine, en Afrique... Celle-ci achevée, je suis revenu en France, j'ai été adjoint au maire et maire de Neuville-Saint-Vaast pendant treize années à peu près...

A quel moment vous êtes-vous intéressé à la guerre de 14 ?
Cela a commencé tout petit, vers l'âge de 6 ou 7 ans. Ma famille a bien évidemment joué un rôle. J'avais un grand-père qui s'est battu dans l'armée italienne, du côté allemand. Il en parlait toujours. Il y avait aussi mon père, qui a fait la révolution en 1919 dans les territoires slaves, je crois bien. Il a fait son service comme aérostier et il a travaillé ici, dans la région, vers 1929 sur la zone rouge que l'on devait déminer : il fallait piocher pour découvrir les corps et ramasser tous les obus et tous les matériaux laissés là – il me semble qu'il y avait à peu près 900 hectares à déminer et cela a pris deux ans.

Quelques instituteurs ont joué un rôle dans votre engouement pour ce conflit ?
Oui. Je pense notamment à un directeur d'école qui s'appelait Mr Robin, un ancien combattant qui était trépané et à qui il manquait plusieurs doigts. Il nous racontait souvent des exemples de fraternisations. Il avait un jour entendu des blessés allemands qui criaient "Mütter ! Mütter !" entre les lignes. Il nous racontait comment il était alors parti les chercher. Petit, j'aimais bien aussi fréquenter un bourrelier qui vivait à Souchez (un village situé à 5 km de Neuville-Saint-Vaast, NDLC) : c'était un ancien agent de liaison, il avait été gazé. Il me racontait lui aussi des cas de fraternisations… Je pense que ce sont ces récits de rapprochements entre soldats qui m’ont marqués.

Que faisaient les enfants comme vous à la sortie de l'école ?
On allait dans les champs ramasser du matériel. Les fusées d'obus nous rapportaient un franc, soit un paquet de chocolat. Et puis quant le ferrailleur marocain passait on allait lui vendre du cuivre et du plomb. Je trouvais souvent aussi des badges anglais (des plaques d'identification) dans les champs. C'est comme cela que ma passion a démarré. J'en avais ainsi trouvé une vingtaine et le bourrelier de Souchez m'a un jour fait un ceinturon. J'étais fier comme Artaban, avec cette ceinture et mon couteau anglais qui ne me quittait pas. J'étais le plus riche du secteur !

Et puis vous rencontriez les anciens combattants ?
Oui. Il y avait beaucoup de vieux qui venaient de se promener. Quand ils me rencontraient, il me demandait ce que je faisais là. Ils racontaient leur histoire. Il me disait : "Tu vois petit, il y avait là-bas une mitrailleuse allemande. Elle en a dégommé du monde !" Un autre me disait : "Tiens mon capitaine a été tué là !" ou "C'est ici que j'ai eu les pieds gelés."

A quelle unité appartenaient ces soldats qui venaient en Neuville-Saint-Vaast ?
Il y avait de tout. De la 5e division, des gars du Havre, de Paris… Roland Dorgelès, du 39e régiment d'infanterie (5e et 130 DI jusqu'en novembre 1917), qui était caporal mitrailleur et qui a commencé la rédaction de son roman "Les Croix de Bois" dans le cimetière de Neuville-Saint-Vaast (photo ci-dessous), venait ici régulièrement. Lorsque j'ai été maire, j'ai fait préserver le caveau de l’ossuaire communal, où il a commencé la rédaction de son livre en 1915.
Vous avez ainsi croisé des anciens combattants du 36e régiment d'infanterie…
Bien entendu. J'en ai rencontré un qui venait d'Argentine. Je me souviens aussi d'un bonhomme dont le fils présentait la météo dans les années 70. Je ne me rappelle plus comment il s’appelait. Il m'a raconté un cas de fusillé pour l'exemple à Verdun et m'a confié que le 36e ne voulait pas partir à Verdun.

Venons-en à votre collection et à votre musée. A quel moment avez-vous démarré ?
Tout jeune ! Et j’ai continué jusqu'en 1939. La guerre est survenue et, avec les Allemands, collectionner c'était verboten ! Tout ce qu'on avait trouvé, échangé, on était obligé de s'en débarrasser... Après-guerre, je me suis dit qu'il ne fallait pas oublier ces soldats de la Première Guerre qui ont donné leur vie pour notre liberté. Je voulais faire quelque chose pour préserver ces reliques. C'est comme ça que j'ai redémarré ma collection. J'amassais les objets dans mon grenier et j'ai fini par faire un musée dans l'ancienne étable. On était alors en 1962.

Qui fréquentait votre musée ?
Les anciens combattants essentiellement. Je me rappelle d'un aspirant, Mr Mayeur, qui habitait Bouvigny-Boyeffles. Il était secrétaire de mairie. Il était du 108e, je crois. Il a été blessé au bois de la Folie, fin 15-début 16, en prenant un éclat dans l'oeil. Il venait tous les tous les ans ici en pèlerinage. Il passait dans le musée et me dressait la liste des objets qui me manquaient ! Au fil du temps, j'ai réussi à récupérer les pièces. J'ai raconté un jour à Mr Mayeur un cas de fraternisation dans son régiment qu'il ignorait. Ça s'est passé de la façon suivante : un jour en décembre 1915, un soldat français dans un poste d'écoute voit des Allemands crier "Guten Tag ! Gutent Tag !". Le soldat français appelle alors son sous-officier, qui était contrôleur sur la ligne Douvres-Innsbruck. Ils comprennent alors que les Allemands voulaient du pinard. Lorsqu'ils transmettent l'information dans la tranchée française, ils voient avec stupéfaction tous les soldats français déposer leur fusil et s’en aller avec leur pinard en donner aux Allemands ! Cet épisode n'a pas duré longtemps… Mon bourrelier de Souchez m’a cité une autre anecdote qui, je pense, est véridique : il m'a raconté le cas d'un soldat français qui allait jouer du piano chez un lieutenant allemand, dans la vallée des Zouaves !

Vous avez retrouvé des corps dans le sol et participé à leur exhumation ?
Oui. Des Français en règle générale. J'ai trouvé une centaines de corps, mais il n'y en avait que deux qui avaient des plaques d'identité permettant leur identification.

Tout votre travail concerne ce secteur de l'Artois. Parlons un peu du village de Neuville-Saint-Vaast. Que devient le village après l'offensive du 25 septembre 1915 ?
En 1916, les Anglais reprennent le secteur et mettent en valeur les terres. Ils rebouchent les trous d'obus avec des Chinois. Puis, avec la fin de la guerre, les gens commencent à revenir, mais ils mettent beaucoup de temps. Tout est bouleversé ! Il ne reste en effet plus rien du bourg, sinon un petit muret de 40 cm de haut, situé dans le bas du village. Il y avait 2 000 habitants avant-guerre ; il n'y en aura guère que 800 après le conflit qui vivront ici.

À quel moment est achevée la reconstruction du village ?
En 1930. Le maire du village commence alors à donner du travail aux chômeurs du village : avec des pelles et des pioches, ils retournent les blockhaus. Le village est rebâti, mais le plan d'origine n'est pas respecté. Il n'y a que l'église qui garde le même emplacement. Pour vous donner un exemple, l'école d'origine était située à l'emplacement actuel de la salle des fêtes.

Pourquoi le gisant du monument aux morts, dans le cimetière, porte l'insigne du 36e régiment d'infanterie sur son col ?
Tout simplement parce que c'est le régiment qui a libéré le village ! C'est eux qui ont donné le plus.

Et la croix du sous-lieutenant Nouette-d’Andrezel, du 36e RI, qui figure près du flambeau de la liberté ? Elle a toujours figuré là ?
Non. Elle était près du bois de la Folie, près du bois canadien, de l'autre côté de l'autoroute. J’ai fait déplacer cette tombe pour éviter qu’elle ne disparaisse. Il doit rester quelques pierres de l'embase.

Aujourd'hui, il n'y a plus d'anciens combattants. Vous estimez que votre démarche de collectionneur et de transmission de cette mémoire a le même sens ?
Je pense que l'on n'a pas le droit d'oublier. Les jeunes générations doivent aujourd'hui prendre le relais.

* Musée militaire de M. Donald Browarski à Neuville-Saint-Vaast (Pas-de-Calais), visite gratuite en appelant le 03 21 48 84 84.

2 commentaires:

  1. Merci Jérome de donner la parole à la mémoire vivante, Donald est bien sympathique, vite la suite !!!

    RépondreSupprimer
  2. Merci Jef ! Bien d'accord avec toi. La suite (que j'aimerais plus développée) sous peu, promis.

    RépondreSupprimer