Pourquoi ce blog et comment le lire ?

Cette page, qui n'a pas la prétention d'être exhaustive, est un hommage rendu aux hommes du 36e régiment d'infanterie que mon arrière-grand-père, Fernand Le Bailly, a côtoyés, parfois photographiés pendant la Première Guerre mondiale. Elle souhaite conserver et transmettre leur souvenir. Elle est conçue à partir de témoignages, d'écrits et d'archives personnels qui m'ont été envoyés, en partie par des descendants de soldats du 36e. Elle est aussi un prétexte pour aller à la rencontre d'"invités" – historiens, passionnés de la Grande Guerre, élus, écrivains... – qui nous font redécouvrir aujourd'hui ce titanesque conflit. Elle est enfin un argument pour découvrir tous les prolongements de ce gigantesque conflit dans le monde d'aujourd'hui.
Comment consulter cette page ? Vous pouvez lire progressivement les messages, qui ne respectent pas un ordre chronologique (ils évoquent, par exemple, l'année 1915 ou 1914). Vous pouvez aussi avoir envie de vous attarder sur une année ou un secteur géographique : pour cela, cliquez dans la colonne à gauche dans la rubrique "Pages d'histoire du 36e" sur la période et le lieu qui vous intéressent. Tous les messages seront alors rassemblés pour vous selon l'ordre de publication.
Comment rentrer en contact ? Pour de plus amples renseignements sur ce site, ou me faire parvenir une copie de vos documents, vos souvenirs ou remarques, écrivez-moi. Mon adresse : jerome.verroust@gmail.com. Je vous souhaite une agréable lecture.

Avertissement : Si pour une raison quelconque, un ayant-droit d'une des personnes référencées sur ce site désire le retrait de la (les) photo(s) et des informations qui l'accompagnent, qu'il me contacte.

29 janv. 2008

Poussière d'empire

Hondschoote, Alger, Rome, Froeschwiller… En 1914, incorporer le 36e RI n'est pas si anodin pour des jeunes conscrits normands et parisiens, qui peuvent alors s'enorgueillir du prestigieux passé du régiment. La naissance de l'unité remonte en effet à presque trois siècles, sous le nom de régiment d'Anjou. Et celle-ci (qui n'a rien de normande à l'époque) ne reçoit son matricule qu'en 1791, conformément à la réforme militaire qui classe les régiments en fonction de leur rang d'ancienneté. Deux ans plus tard, elle se couvre de gloire lors des guerres de l'Empire.
A Hondschoote, la légende raconte que le capitaine d'Arnaud s'empare de 7 pièces de canon et fait prisonnier 500 anglais ! A Zurich, six ans plus tard, 160 soldats armés de lances, de piques, de pistolets et de sabres s'illustrent en plongeant dans une rivière pour aller semer le désordre dans les lignes autrichiennes. A Austerlitz, à Iéna, en Afrique du Nord, lors de l'Expédition de Rome… les exploits des "lignards" du 36e se multiplient. Jusqu'en 1870 où, placé dans l'armée du Rhin, le régiment fait sa reddition à Froeschwiller, non sans avoir réussi à sauver, dans des circonstances héroïques, le drapeau qui deviendra l'ornement de la salle d'honneur du régiment, dans la caserne Lefèvre, au château de Caen.
Avec la "ville aux cent clochers", les fiançailles interviennent tardivement*. En 1873-1874, des compagnies sont ainsi signalées dans les forts de Charenton, Ivry, Saint-Maur, le Mont-Valérien, vers Falaise et Caen. La seule localisation précise est la présence de deux compagnies à la caserne de Beaulieu, dans l'ouest de Caen. En 1875, elles sont rassemblées et stationnent à Falaise. Enfin, un an plus tard, elles sont affectées pour la première fois à Caen, où le régiment prend ses quartiers dans l'étroite caserne Hamelin et au château, dans une bâtiment édifié sur l'emplacement du donjon. Tous les trois ans, l'unité y cantonne en rotation avec le 5e RI, qui s'établit à Falaise. En 1901, ce roulement est interrompu et la ville échoit définitivement au 36e, où bon nombre d'officiers possèdent déjà leur logement au château et dans la cité. Cette même année, un second bâtiment de bataillon est construit, perpendiculaire au premier...

* Pour en savoir plus, lisez l'article de J.-M. Levesque consacré au casernement du 36e RI dans Mémoires du château de Caen, éd. Skira, 2000. Et pour découvrir l'historique du régiment et les hauts faits de l'époque napoléonienne, c'est ici (Photo DR).

22 janv. 2008

La mission du chanoine Bornot


Légende de la photo dans l’album de Fernand Le Bailly : "L'aumônier du 36e. Le père Bornant (nous a toujours suivi au combat)."

Figure tutélaire du 36e RI,  le chanoine Henri Bornot (et non Bornant)  fut un témoin privilégié des souffrances des combattants de 1914-1915. D'une constante fidélité au régiment, il n'a laissé aucun témoignage ni de traces de son action. A sa mort, un petit article est toutefois paru dans le bulletin n°5 de l'association amicale des anciens du 36e, dont j'extraits ici les informations.
Henri Bornot naît en 1861. Professeur au séminaire de Joigny, il est l'aumônier du 1er régiment de dragons, pour lequel il rédige une revue intitulée L'Ami du drapeau. La mobilisation le trouve rayé des cadres. Entend-il l'appel du président du Conseil René Viviani qui autorise, le 11 août, le recrutement d'aumôniers volontaires ? Toujours est-il qu'à 53 ans, il demande au ministère de la guerre à contracter un engagement pour la durée des hostilités afin de reprendre au front ses fonctions d'aumônier militaire. Après plusieurs démarches, il obtient satisfaction : il est affecté à la 5ème division et détaché au 36e régiment d'infanterie, qu'il rejoint à Courgivaux, dans les premiers jours de la bataille de la Marne. Dès lors, il ne quittera plus l'unité qu'il accompagnera dans toutes ses affectations.
Comme bon nombre d'aumôniers militaires, Henri Bornot porte la soutane et le brassard blanc marqué d'une croix rouge. En première ligne, il se dépense sans compter auprès des soldats, leur remonte le moral, entend leurs confessions, leur apporte tabac et friandises qu'il a pu se procurer à l'arrière... Au combat, il accompagne la troupe, aide les brancardiers dans leurs tâches, administre les derniers sacrements aux mourants, procède aux inhumations... Pendant l'hiver 1915, avec l'aide de l'aumônier Girard ainsi que celle du commandant Chassery et de plusieurs autres officiers, il fait même ériger une chapelle rustique avec des claies de branches dans les bois de Beaumarais, dont l'emplacement est marqué aujourd'hui par le petit monument commémorant la présence du 36e.
Mais son sacerdoce connaît une fin tragique le 23 mais 1916, lorsqu'il est grièvement blessé devant le fort de Douaumont par un obus ennemi. Transporté à l'ambulance, Henri Bornot subit l'amputation de la cuisse gauche. Cité à l'ordre de la 5e division d'infanterie par le général Mangin, il reçoit la croix de guerre et celle de chevalier de la Légion d'honneur avec citation à l'ordre de l'armée. Après cette blessure, l'homme de Dieu retourne dans l'Yonne.
Il n'en garde pas moins des liens étroits avec le 36e RI... Il vient ainsi plusieurs fois dans la ville de Caen assister à des manifestations d'anciens du régiment. A l'occasion de l'Assemblée générale de 1933, selon le bulletin, il compose une chanson de 25 couplets, dédiée au régiment, sur l'air de la chanson de Bruant A Menilmontant, dans laquelle il passe en revue certains épisodes de la guerre 1914-1918. L'anecdote raconte même qu'il la chante avec verve et entrain au banquet qui se tient au Buffet de la gare ! C'est enfin avec l'appui de quelques vétérans du régiment qu'il se décide à présenter, en 1937, une demande pour obtenir la croix du Combattant volontaire et la rosette d'officier de la Légion d'honneur. Il recevra la première en 1937, et les insignes de la seconde lui seront remis par monseigneur Lamy, évêque de Sens quelques mois plus tard. Il meurt le 24 février 1947 à Montigny-la-Resle, un petit village aux environs d'Auxerre.

9 janv. 2008

36 x 55,77777777778 = 2008

Selon l'arithmétique du 36e régiment d'infanterie, l'on pourrait presque envisager 56 façons de rêver de la bonne année 2008. Pour l'heure, je n'en suivrai qu'une et vous souhaite une période pleine de félicité, de surprises... et de lecture de cette page, que vous êtes déjà plus de mille* à avoir parcouru depuis sa création, le 17 octobre dernier ! L'occasion de vous remercier chaleureusement de votre intérêt et des nombreux documents sur le régiment que vous m'avez transmis par mail (citations, photos, monuments, fiches de soldats, etc.) lors de ces deux mois, et que je ne manquerai pas de révéler progressivement avec votre accord.
N'hésitez pas à poursuivre et amplifier vos envois, à me proposer des textes surprenants, intéressants ou poétiques, ou même des images, y compris si vous estimez que le document n'a qu'un rapport très lointain avec le 36e ! "L’oubli est le vrai linceul des morts", a dit un jour George Sand... Laissez aussi sur cette page vos encouragements, vos critiques et vos suggestions en cliquant plus bas sur "Commentaires".
Avec cette nouvelle année d'autres rubriques seront inaugurées. Elles nous aideront à en savoir un peu plus sur les événements et les hommes qui ont croisé la route du 36e RI pendant la Première Guerre mondiale. De nouveaux voyages sur les champs de bataille de l'unité seront entrepris et me permettront de rapporter encore plus d'images du bois de Beaumarais, de la plaine de Courcy, etc., voire de découvrir enfin (!) les champs de l'Artois ou les paysages de la Somme. Voilà déjà deux bonnes raison de poursuivre le travail accompli.


* Le site comptait 1 096 visites très exactement au 10/01. (Photo DR)

6 janv. 2008

Des "gâs" du bocage et des faubourgs


Pas de légende (mon arrière grand-père Fernand Le Bailly devant une des portes de la caserne Lefebvre, à Caen, du 36e RI).

Tout au long de la guerre, le 36e régiment d'infanterie a compté dans ses rangs une majorité de Normands et de Parisiens. Aux "gâs" ("garçons" en normand) du Calvados, de la Manche, de l'Eure et de la "Seine inférieure" se mêlaient des jeunes de Versailles, des titis de Courbevoie, des gaillards de Puteaux, d'Asnières ou de Clichy (sans compter des hommes de Mantes, Boulogne, Levallois-Perret et des 1er, 7, 9, 15, 16, 17 et 18e arrondissements de Paris). Et pour cause : au moment où la guerre éclate, la région fait partie de la 3ème région militaire, instituée par la loi d'organisation générale de l'armée de juillet 1873, qui recouvre tous ces circonscriptions administratives.
Le casernement du 36e est à Caen, et s'effectue à la caserne Lefebvre, dans le château érigé par Guillaume le Conquérant, et dans la vieille caserne Hamelin, construite en 1735 plus bas dans la ville, place Alexandre III (aujourd'hui place du 36e RI). Mais la ville rassemble d'autres casernes, telles celle de Beaulieu, située dans le quartier de la Maladrerie, ou la caserne du 43e régiment d'artillerie de campagne, dans le quartier Claude Decaen.
Après avoir reçu sa feuille de route, Jean Hugo nous raconte son arrivée à la caserne Lefebvre le 6 septembre 1914 dans la nuit : "Par la ville endormie je gagnai le château, je passai le pont-levis et j'entrai au corps de garde. Douze hommes dormaient sur un bat-flanc, d'autres sur des paillasses. L'un d'eux, étendu près du falot, bailla, s'étira, jura et dit :
- Couchez-vous là.
Le bras qui me montrait la dalle nue était galloné d'or. Je m'allongeai par terre, la tête sous les pieds des hommes couchés sur le bat-flanc ; c'était la première fois que je sentais l'odeur des pieds.
(...) Les Parisiens étaient des mecs de Belleville, d'Argenteuil et de Nanterre. L'un d'eux, Lagarde, me proposa aussitôt de faire mon lit, de cirer mes chaussures, d'astiquer mon équipement, de polir mes boutons dans l'instrument appelé patience et de nettoyer mon fusil. Un autre, Bleuzé - qui disait de Lagarde : "Il est de ma rue" - traversait la chambre sur les mains après avoir retourné ses paupières avec la pointe de son couteau à cran d''arrêt. Il portait les cheveux en frange sur le front et, autour des reins, une large taillole noire. La race française était alors fort petite. J'étais le plus grand de la compagnie. Les Normands me demandaient :
- Es-tu parent du géant Hugo ?
Ce géant, en long manteau noir et coiffé d'un chapeau haut-de-forme, se montrait dans les foires et était célèbre dans toute la Normandie.
"


Pour retrouver des photos de Caen et de ses casernes, rendez-vous sur le site d'un collectionneur de cartes postales de la ville à la Belle-Epoque : http://www.piganl.net/ A lire enfin, un article un article sur le recrutement en France de 1873 à 1923 sur le site de l'institut de stratégie comparée.