Pourquoi ce blog et comment le lire ?

Cette page, qui n'a pas la prétention d'être exhaustive, est un hommage rendu aux hommes du 36e régiment d'infanterie que mon arrière-grand-père, Fernand Le Bailly, a côtoyés, parfois photographiés pendant la Première Guerre mondiale. Elle souhaite conserver et transmettre leur souvenir. Elle est conçue à partir de témoignages, d'écrits et d'archives personnels qui m'ont été envoyés, en partie par des descendants de soldats du 36e. Elle est aussi un prétexte pour aller à la rencontre d'"invités" – historiens, passionnés de la Grande Guerre, élus, écrivains... – qui nous font redécouvrir aujourd'hui ce titanesque conflit. Elle est enfin un argument pour découvrir tous les prolongements de ce gigantesque conflit dans le monde d'aujourd'hui.
Comment consulter cette page ? Vous pouvez lire progressivement les messages, qui ne respectent pas un ordre chronologique (ils évoquent, par exemple, l'année 1915 ou 1914). Vous pouvez aussi avoir envie de vous attarder sur une année ou un secteur géographique : pour cela, cliquez dans la colonne à gauche dans la rubrique "Pages d'histoire du 36e" sur la période et le lieu qui vous intéressent. Tous les messages seront alors rassemblés pour vous selon l'ordre de publication.
Comment rentrer en contact ? Pour de plus amples renseignements sur ce site, ou me faire parvenir une copie de vos documents, vos souvenirs ou remarques, écrivez-moi. Mon adresse : jerome.verroust@gmail.com. Je vous souhaite une agréable lecture.

Avertissement : Si pour une raison quelconque, un ayant-droit d'une des personnes référencées sur ce site désire le retrait de la (les) photo(s) et des informations qui l'accompagnent, qu'il me contacte.

26 déc. 2008

Valse-hésitation à Montmirail

(Photo : les dernières hauteurs, en surplomb de la vallée du Petit-Morin, face à Montmirail,
où s'est arrêté le 36e RI en septembre 1914.)
Nuit du 7 au 8 septembre. Après les combats autour de Courgivaux, le 36e régiment d’infanterie bivouaque dans le village du Tréfols. A la 1ère compagnie, Jules Champin réussit "à faire un peu de popote avec ce qui tombe sous la main, car le ravitaillement a du mal à nous arriver en bon état et nous avons souvent le ventre bien creux. Nous couchons à la belle étoile entre nos faisceaux." Les soldats sont éreintés et le repos est bien accueilli par nombre d’entre eux qui ont le vague à l’âme. Champin pense aux siens : "Il m’arrive souvent de regarder l’étoile polaire, je regrette qu’elle ne puisse transmettre de mes nouvelles à mes Parents et à toute ma famille, car on ne sait plus depuis bien longtemps, ce que c’est que de recevoir une pauvre petite lettre du pays." Mais les hommes n’ont pas le temps s’apitoyer. Dans la nuit, la "poursuite" de l’ennemi vers le nord continue. Selon le journal de marche et d’opérations du 36e RI, le régiment, placé en arrière-garde, "reçoit l’ordre de s’emparer du (village du) Chêne et de s’y installer ainsi que dans le petit bois à l’ouest". La progression se fait à travers champs et chemins, en direction du nord, où l’on entend aboyer l’artillerie. Au fur et à mesure, ce concert s’amplifie, la vallée du Petit Morin faisant caisse de résonance. Le hameau atteint en fin d’après-midi, le régiment est obligé de s’arrêter : en vis-à-vis, les soldats de Guillaume, juchés sur le balcon naturel de Montmirail, tiennent toute la cuvette sous leurs feux. Les pentes du village sont "fortement retranchées". Au même moment, un gigantesque duel d’artillerie se déclenche entre les deux armées. Mon arrière-grand-père, Fernand Le Bailly (6ème compagnie), raconte : "Pendant que sur les hauteurs situées en face de nous, l’artillerie ennemie balayait d’un feu d’enfer les bois dans lesquels nous nous étions dissimulés pour déboucher directement en avant et sur les flancs de Montmirail pour le prendre ensuite d’assaut nos troupes d’Afrique faisaient de la bonne besogne à la baïonnette et refoulaient les Allemands vers le nord. Les mitrailleuses ennemies par contre, faisaient un affreux carnage des nôtres et pendant que les obus éclataient de toutes parts en rasant la cime des arbres du bois dans lequel nous avions peine à nous frayer un passage à coups de haches, que les balles, par milliers, sifflaient, une immense clameur dominait cet ouragan de fer, clameur produite par des milliers d’hommes qui, avant la nuit, voulaient en finir et s’entrégorgeaient dans un corps à corps féroce dont le dernier mot… resta aux nôtres."Par trois fois pourtant, le 129e tente de s'emparer d'un pont sur le Petit Morin. Sans succès. Les soldats regardent avec appréhension les pentes opposées couvertes de tranchées étagées qu'ils vont devoir attaquer le lendemain. Une compagnie entière du 1er régiment d'infanterie aurait été décimée lors d'un assaut la veille... (Pour lire la suite du témoignage de Champin et Le Bailly, c'est ici)

23 déc. 2008

Joyeuses fêtes !

Les valeureux Normands du 36e se joignent à moi pour vous souhaiter de d'excellentes fêtes et une année 2009 pleine de lecture et d'heureuses surprises.

18 déc. 2008

Sang d'encre

(Ci-contre : le monument aux morts de Neuville-Saint-Vaast)

Dans les premiers jours de juin, les assauts des lignes allemandes dans le petit village de Neuville-Saint-Vaast déroulent leur même trame sanglante. Le 1er du mois, le massacre est vertigineux : 64 hommes du 36e régiment d'infanterie sont tués, 222 sont blessés et 26 déclarés "disparus" (selon le journal de marche du régiment, très sommaire sur cette journée).
A la lecture des rapports d'opérations, conservés au service historique de la défense, il est difficile de ne pas incriminer le manque de préparation de cette attaque. A 6 heures du matin, le 1er juin, la 5e division, dont la mission était alors d'assurer l'inviolabilité du front, est chargée brusquement "d'attaquer et d'enlever Neuville-Saint-Vaast" (ordre n°308 de la 5e DI et ordre 844 du 20e CA, voir photo). Deux bataillons du 36e sont chargés de l'attaque : le 3e, démarrant au niveau des maisons en U, doit s'emparer des maisons le long de la rue Verte, le 2e, partant à hauteur de l'impasse Beaujan, est chargé de conquérir les maisons de la rue François Hennebique. Dans cette épreuve, ils sont aidés chacun par une compagnie du génie et deux compagnies du 129e.
La préparation d'artillerie, démarrée à 10h30 le matin, fut-elle suffisante ? Difficile d'y croire tant les rapports pointent du doigt la faible distance séparant les lignes françaises et les lignes allemandes. Dans un mémoire, Mangin, général de la division, déplore également le manque d'emploi d'artillerie de tranchée, le peu de munitions rassemblées pour cette attaque, le peu de boyaux de communication...
Les conséquences de cette impréparation furent funestes. Pour éviter de tirer sur les troupes françaises, les maisons adjacentes à la zone ennemie furent évacuées... et immédiatement investies par les Allemands. Par ailleurs, plusieurs compte-rendus soulignent comment de nombreuses attaques d'infanterie, lancées à partir de 17h30, furent prises de flanc par des mitrailleuses ennemies qui n'avaient pas été réduites. Le 2e bataillon, sous le feu du blockhaus de mitrailleuses (situé au croisement de la rue Hennebique et de la rue des Balloteux), tenta par quatre fois de déboucher et resta dans ses tranchées. Quant à la 10e compagnie ( commandée par le lieutenant Croizé), elle fut arrêtée à deux reprises devant les maisons les plus à gauche de la rue Verte et perdit une centaine d'hommes. Mon arrière-grand-père, Fernand Le Bailly, qui faisait partie de l'attaque nota derrière une de ses photos qui représente les maisons en U : "Nous, 10ème Cie, attaquâmes à la baïonnette à gauche des maisons en U, sur les tranchées allemandes le 1er juin. Partis 97, je me souviens qu'après avoir enlevé la tranchée allemande, dans laquelle j'eu la chance de sauter le premier, nous sommes revenus onze ! L'assaut avait duré 15 à 20 secondes." Les 11e et 9e compagnies** souffrirent, de leur côté, du manque de liaison en raison des incendies dans les maisons et se heurtèrent à des Allemands retranchés derrière des barricades, dans les caves des maisons et tirant par les soupiraux, à une légère hauteur au-dessus du niveau de la chaussée. Décimées, parfois sans commandement et sans chefs de section, elles ne purent faire face aux contre-attaques allemandes lancées le lendemain (le 2 juin), entre deux et trois heures du matin.
Les seuls progrès de cette journée de combat furent dérisoires : quelques ruines longeant la Grande Rue, un peu plus haut que l'impasse Beaujan, et les reste des maisons au croisement de la rue Verte et de la Grande Rue. Elles plaçaient le régiment, comme le note comiquement un rapport, "dans de bonnes conditions pour la continuation de l'opération".
Place maintenant aux témoignages de trois compagnies de ces combats.
* A noter que le 129e RI compterait, selon un rapport sur cette attaque, une perte de 140 hommes pour cette journée, soit un total de 434 hommes pour la 10e brigade pour la journée du 1er juin.
** La 9e compagnie, commandée par le lieutenant Girard, blessé le 1er juin, enregistrera de "lourdes pertes" ce jour-là.

13 déc. 2008

Deux rescapés de l'oubli

Au soir de la journée du 25 janvier, on compte dans les tranchées du 36e régiment 4 tués, deux blessés par éclats d'obus et 11 blessés par balles. Le commandant de brigade Viennot fulmine et réclame un responsable (une enquête désignera le capitaine Koch) après le déclenchement de la pièce en caponnière située à la corne nord-est du bois, "qui ne devait avoir lieu que par ordre du chef de bataillon du sous-secteur". Le nervosité, enfin, est palpable entre les deux belligérants : dans la soirée, une patrouille française tue ou blesse plusieurs hommes d'une patrouille allemande dont elle ne peut s'emparer par suite de l'arrivée d'un groupe d'Allemands plus nombreux qu'elle.
L'histoire aurait pu en rester là. Elle connaît toutefois un rebondissement lors de la découverte et l'inhumation, plusieurs années après la fin de la Guerre, de deux dépouilles de soldats du 36e, de la 4e compagnie, tués ce même jour : Emile Barreau et Georges Méneteau (photo ci-contre).
Du premier, nous savons peu de choses. Parisien, il vient tout juste de fêter ses 20 ans dans les tranchées, à Courcy. Le sous-officier Georges Méneteau est de six ans son aîné. Cheveux blonds, yeux bleus, il est d'après le Livre d'or du clergé, dont j'emprunte ici les citations, un clerc tonsuré du diocèse de Versailles. Rappelé en vertu du décret de mobilisation générale, cet employé de banque a rejoint le 36e RI à Caen le 3 août et traversé la bataille de Charleroi, de Guise et de la Marne. Evacué en septembre pour une raison inconnue, il est de retour le 4 novembre dans les rangs du régiment "sur sa demande, à la place d'un père de famille âgé". Surnommé dans le régiment le "petit sergent du Bon Dieu", Méneteau s'est taillé pendant l'hiver dans les bois de Beaumarais un petit succès pour avoir, depuis son arrivée, façonné et orné une petite chapelle, où les officiers et les soldats peuvent venir se recueillir. C'est là, "chapelet à la main", qu'il tombe foudroyé avec son camarade par un éclat d'obus le 25 janvier.
Ces deux combattants sont-ils déclarés "disparus" au lendemain de cette journée ? Nous n'en savons rien. Toujours est-il qu'une fois retrouvées, leurs dépouilles seront inhumées au pied d'un petit calvaire, le 31 janvier 1924. Ce monument, situé encore aujourd'hui en lisière des bois de Beaumarais, porte 3 inscriptions :

Partie sud :
"Retrouvés dans un taillis - contre toute espérance - les restes de Georges Méneteau sergent au 36ème RI - et son camarade - Emile Barreau - ont été relevés et inhumés - au pied de cette croix - le 31 janvier 1924 - frappés du même obus - et unis dans la mort - ils n'ont pas été séparés - dans la tombe."


Partie ouest du calvaire :
"Comme Tarcisius - il eut l'honneur de porter - la sainte eucharistie - sur sa poitrine - les obus ont dispersés ses membres - dispersa sunt omnia ossa mea* - RIP"

Partie est :
"Ici est tombé face à l'ennemi - le 25 janvier 1915 - dans la tranchée de 1ère ligne - l'abbé Georges Ménéteau - clerc tonsure - du diocèse de Versailles - le petit sergent du bon dieu"

Si vous passez un jour à proximité de ce petit édifice, ayez une pensée pour Georges Méneteau et Emile Barreau.

* "Tous mes os furent dispersés". Merci à Serge Hoyet pour la photo du monument, à Stéphan, pour celle de Georges Méneteau.

11 déc. 2008

Un 25 janvier aux tisons

(Photo, de gauche à droite : les premiers toits de Craonne, Craonnelle et l'église paroissiale Sainte-Benoîte, à côté de la nécropole,
à l'automne dernier. En arrière-plan, les bois de Beaumarais. Merci à Norbert Lhostis pour cette image)
.

Le 25 janvier 1915, deux mois après le sauve-qui-peut dans la plaine de Courcy, une nouvelle panique touche les 1er et 3e bataillons du 36e régiment d'infanterie dans les tranchées de Beaumarais. L'affaire démarre à 14 heures, dans l'est du secteur de la division, alors que les Allemands dirigent un violent pilonnage des lignes françaises, doublé d'une fusillade intense du bois des Buttes et du mont Doyen. Progressivement, cette bourrasque de feu gagne l'emplacement du 36e. Tous les calibres y passent. Du 220 est même employé contre la batterie lourde de Pontavert. Trop court, elle tombe sur les abris de la compagnie territoriale, en réserve à proximité. A droite, la cannonade est intense, mais la plupart des obus tombent sur les anciennes cuisines abandonnées après le bombardement du 17 janvier.
Dans le régiment normand, c'est l'affolement. Une partie des compagnies de première ligne riposte, vraisemblablement sans raison. Le colonel Bernard note dans un compte rendu : "Coup sur coup je reçus de mon secteur de droite (1er bataillon), l'avis que les compagnies de 1ère ligne se trouvaient fortement attaquées, à plusieurs reprises elles subissaient de violentes attaques et tous me réclamaient des cartouches." L'officier, persuadé que les Allemands ne sont pas sortis de leurs tranchées, donne l'ordre formel de ne pas tirer un coup de fusil avant que l'ennemi ne soit parvenu à 100 m des défenses accessoires françaises. Mais la débandade enfle. L'artillerie lourde et les 75, côté français, dirigent un tir sur les pentes de Craonne, les lisières du bois de Chevreux, celles du bois des Boches... La pièce en caponnière, placée dans le plus grand secret à la corne est du bois, près de la ferme du Temple, et qui ne devait être agie que par surprise en cas d'attaque bien établie, se met à tirer à coups redoublés sur le petit bois Persan (aujourd'hui disparu). La fusillade continue ainsi jusqu'à 16h30 et le bombardement jusqu'à 17h00. Puis, il cesse comme il était venu...

Mise en ligne de décembre 1914 dans le blog du JMO du 36e.

9 déc. 2008

L'éphéméride du 36e sur Internet

Au 36e, c'est Noël avant l'heure ! A la suite de la mise en ligne récente des Journaux de marche et d'opérations (JMO) des régiments de la Première Guerre Mondiale sur le site Mémoire des hommes*, une transcription du mois d'octobre 1914 du JMO du 36e régiment d'infanterie de 1914 à 1918 est à lire à cette adresse. Elle sera progressivement complétée dans les mois qui viennent en fonction de ma disponibilité (toutes les aides sont les bienvenues).
Ce service obéit à deux raisons principales. Il permet, d'une part, d'éviter d'"aspirer" des images sur le site Mémoire des Hommes et de causer un dysfonctionnement de ses serveurs. C'est par ailleurs un outil incomparable de recherche et un gain de temps appréciable : pour trouver une date exacte, un patronyme de soldat, un lieu géographique, ou un mot clé il vous suffit de l'écrire dans la case située en haut à gauche et de cliquer sur "Rechercher le blog" (voir l'illustration ci-contre).
A noter toutefois : certains termes du JMO sont difficilement lisibles, selon l'écriture, et n'ont pu de ce fait être déchiffrés. Pour toute suggestion ou correction, n'hésitez pas m'adresser un mail à jerome.verroust@gmail.com. Merci et bonne lecture.

*A noter : le Journal de marche et d'opération original est conservé au Service historique de la défense, au château de Vincennes, sous la cote 26N612. Il est mis en ligne depuis le mois de novembre 2008 à cette adresse.

2 déc. 2008

Louis Ducamp, de Londres à Nanterre

Il y a des hasards encourageants. Il y a un peu plus d'un an, quelques semaines après voir démarré ce blog, j’étais contacté par l’intermédiaire d’un camarade, Vincent Le Calvez, qui venait de trouver un album de photos du 36e régiment d’infanterie. Coïncidence ? Ce document exceptionnel appartenait à une de ses consœurs, Sylvie Ducamp, fille de Louis Ducamp, soldat du 36e RI pendant la Grande Guerre. Quelques documents originaux de cet album viennent d'être dévoilés dans une exposition, réalisée à l’Institut national supérieur de formation et de recherche pour l'éducation des jeunes handicapés et les enseignements adaptés (1), à Suresnes. Trois panneaux retraçaient le parcours de cet homme hors du commun (ci-contre)…

Quelques lignes…
Louis Ducamp est né en 1892, à Tartas, dans les Landes. Bachelier, il rentre au grand séminaire pour devenir prêtre. Mais quelque mois plus tard, il quitte l’institution et part pour l’Angleterre, où il devient secrétaire particulier de sir Cécil Rhodes (premier ministre de la colonie du Cap, en Afrique du Sud), à Brighton, après avoir été livreur de lait et répétiteur… En août 1914, il rejoint le continent et se retrouve au 36e RI basé à Caen. Lors de l’hiver 1914-1915, Louis tient les tranchées du bois de Beaumarais, au pied du Chemin des Dames. Plus tard, il offrira à son petit-fils Thomas un souvenir rare et précieux de ce printemps 1915, sous la forme d’un très bel album de photos inédites. En avril 1916, Louis se blesse lors d’un exercice avec une grenade. Hospitalisé pendant 16 mois, il sera réformé et échappera à l’enfer de Verdun. Employé municipal à Ivry-sur-Seine et imprimeur, il fera partie du peuple de l’ombre de la Résistance. Communiste, il sera plusieurs fois arrêté et emprisonné par l’occupant (Gurs, Pithiviers, Beaune-la-Rolande, La Santé). Il rendra sa carte du PCF en 1956, et finira sa carrière à Nanterre en tant que secrétaire général de mairie.

(1) L’INS HEA est un centre de formation du ministère de l’Éducation nationale dans le domaine de la scolarisation des élèves handicapés. www.inshea.fr. Pour voir les panneaux de l'exposition, adresser un mail à Vincent Le Calvez. Un grand merci à lui.

22 nov. 2008

Prises de guerre

Photo : Carte postale envoyée par Jules Champin, photographié ici avec ses camarades, en 1913. Merci à Yann Thomas pour ce document inédit. 

Selon le Journal de marche et d'opération du 36e RI, les combats autour de Courgivaux se soldent par une perte de 160 hommes dont un officier pour le régiment. Après avoir traversé le petit village dévasté, l'unité entame sa marche en avant, et poursuit un ennemi qui ne manifeste aucune résistance. Le 7 septembre au soir, elle cantonne au Tréfols. Et poursuit, le lendemain, sa progression vers le nord, en obliquant vers Montmirail. C'est lors de ces deux journées que Jules Champin, soldat du 36, capture trois Allemands. Récit. "Le village (de Courgivaux, NDLC) est entièrement détruit. Quand nous le traversons c'est le général Mangin, accompagné de son ordonnance, un grand noir sénégalais nommé (Baba Koulibaly, NDLC) qui nous accueille et parlemente quelques instants avec notre commandant de compagnie le capitaine Wiart. Je crois comprendre qu'il trouve que nous n'avançons pas assez vite, car les boches déménagent en vitesse et en abandonnant à leur tour beaucoup de canon, des caissons de munitions etc., etc.. On ne leur donne même pas le temps d'enlever leurs morts. Car il reste beaucoup de cadavres sur le terrain. Je suis désigné pour partir en patrouille d'éclaireur avec 4 autres camarades. Nous sommes à une centaine de mètres les uns des autres quand tout à coup je me trouve en présence de 3 allemands qui étaient dans un cabanon, bien cachés, et qui se reposaient tranquillement, sûrement qu'il ne m'attendait pas la. Ils font le geste de vouloir prendre leur fusil mais je ne leur en donne pas le temps, car l'espace d'une seconde je les mettais en joue avec le mien et instinctivement ils lèvent les bras en l'air et me font signe "Kamarades". J'ai eu rudement chaud pendant quelques secondes, qui seront inscrites pour longtemps dans ma mémoire. Ils appartiennent au 31e régiment d'infanterie allemand. Je les fait abandonner leurs armes et munitions. Mais avant de les ramener dans nos lignes je fais signe au camarade qui était le plus près de moi sur ma gauche que je pars avec eux. Je ne sais pas pourquoi il me vient l'idée de leur réclamer leurs pattes d'épaules et plusieurs autres petits objets (que Champin, une fois blessé, gardera avec lui, NDLC) : bidon, clairon (fifre allemand) dont ils se servaient à Pont-à-Binson pour faire allonger leurs tirs d'artillerie. Je les conduis à ma section qui les prend en charge. Je reçois les félicitations de mon lieutenant Vivien qui est heureux de ma prise. Je vais rejoindre mes autres camarades et au bout d'un bon moment, nous arrivons dans une très grande ferme qui s'appelle la ferme de la Montagne (à côté du bois de Nogentel, NDLC) où nous faisons encore au moins plus de 250 prisonniers. Ce doit être ce qui leur servait de poste de secours, car il y en a qui sont parmi eux plus ou moins blessés, au moins cela ne sont pas difficiles à désarmer, et puis je ne suis plus tout seul cette fois, qu'est-ce que cela remet du baume dans le coeur, pour l'instant le moral est bon nous faisons la tous nos prisonniers, et nous allons faire une grande halte à proximité dans un grand bois. Ensuite nous repassons dans un petit pays où les habitants sont heureux de nous revoir. Le soir nous passons encore dans un autre petit village, mais ça va tellement vite que je ne puis noter les noms sur mon carnet. Le soir ma compagnie se déploie en ligne de tirailleurs, mais c'est un déluge, une pluie d'obus qui nous accueille, on est obligé de se retirer et je m'abrite bien derrière meule de paille à proximité. Nous profitons d'une accalmie pour repartir, et on nous dit que nous allons faire l'attaque de Montmirail." (Pour lire la suite du témoignage de Jules Champin, c'est ici)

18 nov. 2008

L'invité du 36e : une saison peu uniforme, vue par Laurent Mirouze

De la fin de l'été 14 au printemps 15, qui marque l'arrivée du drap "bleu horizon" dans les uniformes, les habits des soldats connaissent une véritable refonte. Retour sur cette "révolution de velours" avec Laurent Mirouze, auteur du livre, avec Stéphane Dekerle, de L'armée française dans la Première Guerre mondiale*, paru récemment, qui nous a commenté spontanément 5 photographies du 36e régiment d'infanterie. Merci à lui !

← La Neuvillette (Reims), décembre 1914 (détail). "Voilà un soldat qui a déjà deux mois et demi de campagne : il porte un uniforme de la collection de guerre qu'il a touché au moment de la mobilisation. Il est parti équipé de neuf, mais premier signe d'adaptation, il a mis ses chaussettes sous ses guêtrons (la bande molletière n'arrive qu'en décembre 1914) et, semble-t-il, un pull-over sous sa capote. On est donc encore dans la période où l'on use les uniformes du temps de paix. Un détail : cet homme porte un col droit. Certains officiers et sous-officiers vont très vite l'abandonner pour un un col rabattu large, qui n'irrite pas la peau du maxillaire inférieur."

→ Plaine de Courcy, novembre 1914. "Cette photo est intéressante pour un détail : si la zone claire sur la manche droite de la capote de ce soldat est un galon, elle signifie l'introduction des galons réduits. En août et septembre 1914, beaucoup de cadres et d'officiers français sont en effet abattus par des tireurs d'élite allemands, qui étaient des soldats formés pour cela dans les compagnies d'infanterie. Dans les carnets, on note ainsi beaucoup d'exemples où des sous-officiers et des officiers français se disent personnellement visés. On a donc demandé aux officiers d'abandonner le plus rapidement possible leur vareuse pour la capote de troupe, avec des galons dont la taille était réduite."

← Plaine de Courcy, novembre 1914. "Cette photo est symptomatique de l'époque : le soldat à gauche possède une cartouchière en cuir ; celle de droite est en tissu. Cela résulte certainement de la pénurie de cuir qui est intervenue à ce moment-là. Pour pallier à cette carence, on fabriquait alors des "équipements de substitution" dans une grosse toile : des ceinturons, des cartouchières, des brelages, etc. Ces équipements de mauvaise qualité ne tiendront pas longtemps la vie en première ligne, et lorsque l'intendance aura rattrapé son retard et fabriquera de nouveau des effets en cuir, ces "ersatz" seront utilisés principalement pour l'instruction dans les dépôts."

→ Bois de Beaumarais, hiver 1914. "Cette "intersaison" de l'hiver 1914-1915 est très disparate du point de vue des uniformes, qui perdent complètement leur aspect militaire. Sur cette photo, les soldats portent des effets qu'ils ont touché à la mobilisation, avec des vêtements qui ont été envoyés par les familles, qui ont paré tant bien que mal aux carences de l'intendance avec des tricots, des chaussettes, des gants, des cache-nez. Les soldats font pratiquer aussi souvent des améliorations sur leurs habits : des poches sont cousues sur les capotes, on fait des bandes molletières à partir de tissus que l'on a découpés, etc. Puis, progressivement, avec l'arrivée des hommes du dépôt, on voit apparaître les nouveaux uniformes avec le fameux drap "bleu horizon". Dans ces uniformes, priorité est donnée à la fabrication des capotes et des képis. Enfin, à partir du printemps 1915 interviennent les distributions massives de la nouvelle collection. Le panachage est terminé."

←Bois de Beaumarais, printemps 1915. "Les soldats ici ont touché leur nouvel uniforme depuis quelques heures – on le voit le drap est raide, les plis sont cassants, les deux soldats n'ont pas encore mis leurs insignes sur les cols... Ils portent la nouvelle capote Poiret ! Cette capote était très facile à fabriquer. Elle était construite dans une seule pièce de drap et on la taillait très vite. Sa couleur bleue résulte d'une pénurie d'alizarine, la plante à partir de laquelle on extrayait la garance, qui était essentiellement produite par les Allemands. Sans alizarine, les Français ont donc fait des mélanges à partir d'indigo et de blanc, ce qui a donné le bleu clair, qui plus tard a été appelé le "bleu horizon". Il y a une très légère nuance entre les deux uniformes sur la photo : il y avait en effet beaucoup de variétés dans les draps, qui venaient aussi bien d'Espagne, d'Angleterre, voire des Etats-Unis..."

* Si vous voulez en savoir plus, lisez le remarquable ouvrage de Stéphane Dekerle et Laurent Mirouze L'armée française dans la Première Guerre mondiale, éd. Verlag Militaria, 99 €. Renseignements et bonnes feuilles : voir ce blog.

13 nov. 2008

Etat de glace à Beaumarais

Photo : 93 ans plus tard, des tranchées sont encore visibles en lisière nord des bois de Beaumarais, photographiés ici en avril.

Bois de Beaumarais, janvier 1915. Les mauvaises nouvelles s'accumulent sur le bureau du colonel Bernard, commandant le 36e régiment d'infanterie. Les pluies incessantes, le froid et le vent forment un cocktail ravageur dans les tranchées, où l'eau monte de plus en plus. Les hommes pataugent dans l'eau nuit et jour et souffrent de gonflement des pieds, avec des lésions cutanées. Ils disent ne plus sentir leurs arpions, qui restent des jours dans leurs gangues de boue glacée. Ils n'ont plus conscience de la piqûre ni du contact. Les membres sont parfois douloureux et rendent la marche impossible. Un assez grand nombre d'alités sont déclarés dans les postes de secours, où l'on signale également de nombreux cas de courbatures fébriles, faisant craindre une épidémie de typhoïde. Pour endiguer cette épidémie, une infirmerie est créée à Concevreux, sur les bords du canal de l'Aisne, où les hommes fatigués, exemptés de tranchées pour quelques jours, pourront se reposer. Et pour éviter l'apparition de ce que les médecins appellent désormais des "gelures", 200 kg de vaseline sont distribués dans les régiments de la division.
Dans le même temps, les bombardements répétés apportent leurs lots de drames quotidiens. Et pour cause : les bois de Beaumarais demeurent constamment sous la surveillance des Allemands, juchés sur le plateau de Californie. Les feux que les Français allument dans les bois sont visibles à grande distance. Le 17 janvier, un pillonnage très vif des cuisines s'abat sur une corvée en route faisant trois tués et 4 blessés. Le 23, un officier de l'état-major en service géographique arrive même en automobile au poste de commandement du sous-secteur n°2 ! Son moteur faisant beaucoup de bruit éveille l'attention des Allemands qui ouvrent un feu d'artillerie assez intense.
Pour ne rien arranger, quelques jours plus tôt, le poste d'écoute de la meule de paille, enlevé par un coup de main mené par le lieutenant Osmond au début du mois, s'est replié sans combattre sous la menace d'une troupe ennemie forte de 60 hommes. Il a été récupéré quelques heures plus tard, mais Bernard casse le sergent qui commandait la meule, et ce dernier est affecté au 129e. Le commandant du 36e est furieux : ce sous-secteur du 36e à proximité du champ de la ferme du Temple, a été équipé récemment, en secret, de deux pièces de 75 en caponnières et d'un projecteur, à la corne nord-est du bois.

12 nov. 2008

Le 36e sur France Bleu Calvados

Après le site Le Monde.fr, la radio France Bleu Basse Normandie a mis en première ligne, dans son journal du 11 novembre au petit matin, le blog du 36e. Interviewé par la journaliste Mariam El Kurdi, voilà une occasion d'en savoir plus en 1 minute et 15 s ! Merci à ceux que je n'ai pas eu le temps de citer dans ce reportage et sont d'inestimables pourvoyeurs à la richesse de ce blog - ils se reconnaîtront entre les mots (cliquer dans le petit module sur la flèche ou sur le lien "Blog 36...").

11 nov. 2008

L'invité du 36e : "Souvenir de 1918", de Maurice Genevoix

Pour évoquer la journée du 11 novembre 1918 et l'émotion qu'elle suscite encore aujourd'hui, un texte de l'écrivain Maurice Genevoix en 1953, dans "L'Almanach du combattant". Puissent le sacrifice de ses hommes et le sens de celui-ci ne jamais être oublié... - un texte à découvrir en intégralité (avec des scories...), sur le site du Mémorial de Verdun, à cette adresse. (Photo : les deux lignes qui annoncent l'armistice, le 11 novembre 1918, dans le Journal de marche et d'opérations du 36e RI)

"Trente-quatre ans ! Pour nous, jeunes hommes de 1914, si nous devions priser le poids humain de notre vie à la mesure de ces trente-quatre années, comment ne serions-nous pas tentés de conclure, amèrement, à la faillite de notre génération ? Peut-être le verdict du proche avenir tranchera-t-il, en ce qui nous concerne, dans ce sens. Vieillis maintenant, n'avons-nous pas eu à subir, de la part de nos fils mêmes (pas de tous, et heureusement) l'épreuve d'un jugement si sommaire, et si injuste ? Car il se peut aussi qu'un avenir plus lointain, moins « engagé » dans nos épreuves, en appelle d'une telle condamnation. Les historiens savent bien que les révolutions humaines sont lentes, et que les périodes mêmes où l'Histoire semble ^s'accélérera ne laissent pas de réclamer des délais considérables au regard de nos brèves existences individuelles. Les événements qu'elle retient, pour les fixer dans son « airain durable », ne prennent que peu à peu leur visage d'éternité. Plus que le jugement des contemporains, ce sont les événements ultérieurs qui les éclairent, les situent, leur prêtent leur signification profonde leur stature définitive. Avant de retrouver la pente de ces pensées sévères, je veux d'abord laisser parler mes souvenirs.
Lorsque sonnèrent les cloches de l'armistice, je n’étais plus parmi mes camarades du front. Grand blessé, mutilé, j'avais quitté depuis la veille, pour un congé de quelques jours, un Paris très anodinement bombardé, où j'avais continué de servir selon mes forces diminuées. Et je me trouvais ce jour-là, à cette heure-là, dans une campagne paisible, en une Solitude absolue, au bord d'un fleuve glissant et pur : cette Loire dont j'avais tant rêvé, au front, en des jours où j'avais accepté de ne plus jamais la revoir.

C'était une splendide journée d'arrière automne, doucement ensoleillée. L'air bleu, l'eau bleue caressaient la rousseur des feuillages et leurs reflets dans le courant. Quel calme ! Quelle sérénité ! Les vols de cloches planaient dans un immense silence, d'une limpidité divine. Mon coeur d'homme et de soldat, gonflé d'émotions bouleversantes, n'en sentait que mieux cette paix, ce sourire de la saison, cette glissante splendeur, éternelle. Les souvenirs montaient, affluaient. Je songeais au surgeon de vie qui bouillonnait dans nos veines, là-haut, chaque fois qu'au soir d'un combat nous nous laissions gagner par l'ivresse ardente de survivre. Cette fois, cette dernière fois, c'en était à jamais fini : le dernier « cessez le feu » avait vraiment sonné la fin de la dernière bataille. Désormais les hommes de mon pays, - ni les autres, n'épuiseraient plus trop vite, comme au fil d'un sursis précaire, la joie de se sentir vivants (...)
"

4 nov. 2008

La mémoire du 36e en ligne

Photo SHD : la couverture couleur du premier cahier du JMO du 36e régiment d'infanterie s'étendant sur la période d'août 1914 à janvier 1915.

Une bonne nouvelle n'arrive jamais seule. Actualité oblige, à l’occasion du 90e anniversaire de la fin de la Première Guerre mondiale, la direction de la Mémoire, du Patrimoine et des Archives (DMPA), en partenariat avec le Service historique de la Défense (SHD), vient d'achever la numérisation des archives de toutes les unités engagées lors de la Première Guerre mondiale. Ces documents peuvent désormais être consultés, de chez vous, sur le site Mémoire des hommes.
C'est un ensemble d'une richesse incalculable qui vient d'être mis en ligne. Pour le 36e RI, il comprend bien évidemment le Journal de marche et d'opérations (JMO) du régiment qui couvre six cahiers et constitue la mémoire de l'unité pendant les quatre années du conflit (pour y accéder voir lien ci-dessous). Mais il recouvre également le JMO de la 10e brigade (5 cahiers), dont le 36e faisait partie jusqu'en juin 1917 au sein de la 5e division d'infanterie (10 cahiers), ainsi que le JMO de la 92e brigade (2 cahiers), au sein de la 121e division d'infanterie (2 cahiers), à laquelle le régiment a appartenu jusqu'en novembre 1918. Soit un total de 19 volumes en plus du JMO du 36e RI qui recoupent, peu ou prou, l'histoire de l'unité (sans parler des journaux du génie, des services de santé, de la prévoté de la division...)
Selon que votre ancêtre ait été tué ou blessé à une date précise, vous pouvez donc aller consulter directement les entrées du JMO pour connaître les événements de la journée. Vous pourrez ensuite les compléter par ceux consignés dans les documents de la brigade, de la division, etc. si ceux-ci sont lacunaires. N'hésitez pas à rentrer en contact avec moi si vous souhaitez plus de renseignements.

Inventaire des journaux des régiments et bataillons : cliquez sur ce lien, puis sur "Infanterie", "Régiments d'infanterie", et enfin "36e régiment d'infanterie".
Inventaire des journaux des brigades, divisions, corps d'armées... : cliquez sur ce lien.

31 oct. 2008

"Le Monde.fr" : le 36e en une !

Grande nouvelle ! Fernand Le Bailly et ses photographies ont les honneurs de l'édition électronique du Monde pour 48 heures ce 31 octobre. En ligne, 11 photos, dont certaines inédites, accompagnées d'une petite interview de votre serviteur, entretien réalisé au téléphone (d'où le son très médiocre) avec le journaliste Léo Ridet. J'y retrace l'histoire de Fernand et celle de son album photographique de la Grande Guerre. Le format imparti était très court ; je ferai mieux la prochaine fois !
Lien : "La guerre de 14-18 racontée en photos", portfolio sonore. A retrouver aussi sur cette page.

28 oct. 2008

Neuville s'en va

Légende de la photo dans l’album de mon arrière-grand-père, Fernand Le Bailly : "Groupe des maisons en "U". 29 mai 1915. Certaines compagnies de notre régiment eurent pour mission d'enlever une maison ou un groupe de maison du village. Nous, 10ème Cie, attaquâmes à la baïonnette à gauche de celles-ci, sur les tranchées allemandes le 1er juin (le 29/05 selon le JMO, NDLC). Partis 97, je me souviens qu'après avoir enlevé la tranchée allemande, dans laquelle j'eu la chance de sauter le premier, nous sommes revenus onze ! L'assaut avait duré 15 à 20 secondes."

En ces derniers jours du mois de mai 1915, plus rien ne semble arrêter l'ouragan des bombardements qui pilonnent nuit et jour les tranchées de Neuville-Saint-Vaast et écrasent le hameau des Rietz. Sous le marmitage des 105, 150 et 305, réglés par un insaisissable drachen allemand, le 36e régiment d'infanterie s'accroche aux premières maisons du village : le 2e bataillon est placé à l'est du boyau de Neuville, le 3e à l'ouest ; le 1er bataillon est en soutien à la Targette. Les bois de Beaumarais, les quelques obus qui tombaient hier au petit bonheur sur la plaine de Courcy, sont bien loin... Aujourd'hui, le marteau-pilon de Guillaume redouble d'une violence méthodique et implacable.
Le village de Neuville-Saint-Vaast vit ses dernières heures... De nombreuses maisons, hérissées de leur charpente, s'abattent comme des châteaux de cartes sous la violence du bombardement. D'autres, avec leur façade défigurée par les impacts de balles et les trous d'obus, tiennent encore debout. Leur toit squelettique se découvre vide de tuiles, pulvérisées par la mitraille. Les rues, les places du bourg peuvent encore se deviner sous les gravats et les moellons. Certaines sont barrées par des barricades méticuleusement renforcées. Alentours, dans les jardins et les champs, les hautes herbes cachent le maillage des défenses accessoires plantées par les Allemands depuis quelques mois.
Pour se repérer dans cet enchevêtrement, le 36e et le 129e régiment d'infanterie utilisent une carte sur laquelle le village a été divisé en une dizaine de zones, identifiées chacune par une lettre de l'alphabet, chaque maison portant un numéro. Entre deux bombardements, les hommes de la 5e division entreprennent méthodiquement la conquête du nord du village. Le 29 mai, le 3e bataillon du 36e RI réussit à occuper les maisons en "U" qui servait de flanquement à l'ennemi. De nombreux cadavres allemands sont découverts. Mais le lendemain, la 12e compagnie, la compagnie Girard, à qui l'on donne l'ordre de progresser dans les maisons c1, c2, c3 (aujourd'hui, le long de la rue Marron) est notée comme disparue "sans donner de nouvelles" dans le compte rendu de fin de journée. Une situation jamais vue jusqu'à présent à la division. Le même jour, pour appuyer une action entreprise plus au sud, vers le Labyrinthe, l'artillerie de la 5e division exécute quelques tirs qui ont pour réponse plusieurs tirs de barrages de la part de l'ennemi. Un dépôt de munition situé aux Rietz, atteint par un projectile, saute...

Merci à Thierry Cornet, à Donald Browarski et à son musée militaire situé à Neuville-Saint-Vaast, pour leur carte de "NSV".

24 oct. 2008

Dans la mitraille

Un mail m'a été envoyé par M. Eric Abadie lundi dernier dont vous trouverez ci-dessous la retranscription. Pour toute information m'envoyer un message que je ferai suivre.

"Mon grand-père, Hilaire Abadie, classe 1911, natif du village de Fransart dans le département de la Somme, a été soldat mitrailleur 2e classe au 36e régiment d'infanterie de novembre 1916 à la fin de la Grande Guerre. A la déclaration de guerre, il achevait son service militaire au 120e régiment d'infanterie et c'est dans ce régiment qu'il combattit par la suite, avant d'être affecté au 147e régiment d'infanterie en mars 1916. A la même date, il est désigné ou s'est porté volontaire pour suivre une formation de mitrailleur. Le 20 novembre 1916, il passe au 36e régiment d'infanterie appartenant à la 5e division d'infanterie. Il obtient la croix de guerre avec citation à l'ordre du régiment (n° 907), le 27 novembre 1917 (entre-temps, il sera évacué pour maladie le 19 mai 1917, NDR), en ces termes : "Très brave a montré les plus belles qualités militaires dans toutes les affaires auxquelles il a pris part. Blessé le 8 setembre 1914 à Sermaize." Il sera blessé le 11 août 1918 au sud de Lassigny (Oise) par éclat d'obus et évacué vers l'hôpital complémentaire d'armée n° 39 de Beauvais. La photographie jointe montre mon grand-père mitrailleur à la 2e compagnie de mitrailleuses assis derrière la mitrailleuse Hotchkiss. Elle peut être datée de la fin de l'année 1917 ou du printemps 1918. Cinq soldats (debout) de sa compagnie sont présents à ses côtés. Peut-être leurs descendants reconnaîtront-ils leurs ancêtres ? Je serais intéressé de retrouver leurs noms."

16 oct. 2008

Danse macabre à Courgivaux (II)


Suite et fin (temporaire) du récit de mon arrière-grand-père, Fernand Le Bailly, sur le combat du 7 septembre 1914 autour du village de Courgivaux, dans lequel fut engagé le 36e régiment d'infanterie (ci-dessus : entre ombre et lumière, la plaine au sud de Courgivaux aujourd'hui, vue depuis le cimetière, où le régiment a attaqué. Le ferme du Bel-Air, mentionnée dans le texte est située sur la droite)

"Hélas, nous avancions bien trop vite, au contraire. Nous étions arrivés dans la zone battue par nos propres canons et je vois encore deux gros arbres voltiger dans l'espace, à moins de cent mètres de nous. C'était le travail de nos 75 ! Il était malheureusement trop tard, nos artilleurs ne pouvant nous apercevoir, cachés que nous étions par les bois, tiraient par rafales et avant que nous ayons eu le temps de rétrograder, avait déjà tué trois des nôtres et blessé plusieurs autres, quel horreur !

Le capitaine Malfre vit le coup et m’appela aussitôt. «
– Le Bailly, êtes-vous trop fatigué pour courir jusqu’au colonel qui se trouve là-bas, derrière la meule que vous voyez dans le bas de la plaine ?Non, mon capitaine, je vois ce que vous désirez, j’y vais. Il faut de suite aviser les quatre batteries d’allonger leur tir. » J’étais déjà galopant dans cette plaine, sautant par-dessus les morts et les blessés pendant que obus et balles allemandes me sifflaient aux oreilles de tous côtés. J’étais seul debout sur ce champ de mort et je me souviens que malgré toute l’ardeur que je mis pour atteindre au plus vite la dite meule, elle semblait s’éloigner de moi au fur et à mesure que j’avançais. Arriverai-je oui ou non ? J’étais à bout de souffle, encore un effort… j’étais au but. Bref, je remplis ma mission et pour la troisième fois j’arpentai cette plaine mais… je pris mon temps, je procédai par bonds en utilisant le terrain.
A peine avais-je parcouru un tiers du parcours, j’eus le bonheur de voir le tir s’allonger. J’eus aussi la joie de voir ma compagnie s’avancer au fur et à mesure et déborder le village par la droite. Quand je le rejoignis, elle tirait à l’abri du talus face au cimetière de Courgivaux. Une grande ferme (la ferme du Bel-Air, NDLC) flambait. Le cimetière était bouleversé de fond en comble, ses murs étaient littéralement hachés, le sol était recouvert de blessés allemands, je vis des morts en quantité dans les sillons d’un champ labouré, des chevaux éventrés – mais nous n’avions guère le temps de bien regarder et au commandement de notre chef, nous nous élançâmes dans la cour de la ferme qui brûlait.
Partis, envolés, les Allemands ! Ce fut du délire ; nous pénétrâmes au pas de course dans le village : cadavres allemands, chevaux allemands, caissons, équipements allemands, tout cela pêle-mêle pendant que leurs blessés qu’ils n’avaient pas eu le temps d’enlever, hurlaient de douleur.

Et l’ordre arriva de nous assembler – tout le 36ème avait donné – et de prendre une heure de repos. Pendant ce temps, notre artillerie prenait position derrière nous et semant la mort dans les rangs de nos ennemis qui, en colonnes, là-bas, sur les routes, s’enfuyaient à une allure folle.

Nous nous précipitâmes dans les jardins et ce fut, entre nous, un assaut en règle autour des puits. Boire ! Boire ! N’importe quoi, mais boire.

Mais… qu’est-ce donc que ces cris qui partent du centre du village. Est-ce que la danse recommencerait ? Non ! Ce sont les femmes, les vieillards, les enfants de l’endroit qui, sortis de leurs caves, poussent des hurlements de joie en voyant les pantalons rouges !

Pauvres gens ! Quelle terreur sur leur visage ! Mais au bout d’une demi-heure, la détente se produit, ils pleurent de bonheur, ils nous serrent les mains, sans crier, sans phrases et avec des seaux nous apportent de l’eau, du vin, du pain. Nous nous battons presque, à qui en aura.

Mais abrégeons. Courgivaux était à nous, bien à nous. Nous avions décimé 3 bataillons bavarois sur six qui défendaient, paraît-il, le village. Quant à notre 36e qui, seul, avait mené l’attaque, il n’avait guère perdu en moyenne plus d’un quart de son effectif : à peine un bataillon.
Là devait commencer la poursuite effrénée de l’ennemi. Nous trottions depuis cinq heures déjà après avoir traversé quatre villages en feu. Nous marchions à travers champs pendant qu’une avant-garde de cavalerie et nos flancs gardes « battaient » le terrain, quand l’ordre arrive de nous faire prendre quelque repos. Il était six heures du soir, nous nous étions battus pendant près de 11 heures durant, nous étions fourbus.
Point n’est donc besoin de dire que nous avons dormi comme des brutes.
Ceci se passait le 6 septembre
(en réalité le 7/09/1914)."

12 oct. 2008

Le blog du 36e a un an !

Il y a un an, j'écrivais la première ligne de ce blog. Avec ce cinquante-septième billet, l'occasion m'est donc donnée de remercier tous les lecteurs assidus ou non de cet espace. Et plus particulièrement ceux qui m'ont fait confiance et m'ont encouragé en me faisant parvenir des souvenirs et des témoignages de combattants du 36e régiment d'infanterie. En écrivant cela, je pense bien évidemment aux dessins d'Adrien Perrier, aux photos de Fernand Mathias, au carnet de Jules Champin et à tous les documents qui m'ont été envoyés.
Depuis sa création, ce site a connu 4 535 visites (dont 2 685 visiteurs uniques) et 10 105 pages vues, à l'origine géographique très diverse : Belgique, Canada, Etats-Unis, Italie... et, bien sûr, France (91 % des visites !) Souhaitons que ces chiffres croissent, preuve de l'intérêt que vous portez à l'histoire de ces hommes et à leur rôle dans la Grande Guerre, alors que trois poilus français viennent de disparaître cette année (à noter, la galerie photos de l'hommage au "dernier poilu" Lazare Ponticelli aux Invalides est toujours en ligne sur ce blog à cette adresse).
Deux sujets ont occupé pour une large part les billets de ce blog jusqu'à présent : ils concernent l'action du 36e régiment d'infanterie dans la plaine de Courcy, fin 1914, et dans les bois de Beaumarais, début 1915. Dans les prochains mois, ces thèmes seront étoffés – une occasion d'évoquer, entre autres, l'arrivée du froid, la poursuite des travaux de tranchées dans la Marne, et dans l'Aisne, l'attaque du 25 janvier, le rôle joué par la ferme du Temple, près de Pontavert, etc. De même, d'autres récits porteront sur la bataille de la Marne (la traversée de Montmirail, la lutte dans le château de Courcy...) et l'engagement du 36e à Neuville-Saint-Vaast et les combats de juin. Encore une fois, si vous avez des documents, des photos, des souvenirs, n'hésitez pas à prendre contact avec moi. A toutes et à tous, je vous souhaite une excellente année de lecture.

(Photo : votre serviteur, dans son uniforme du 36e, croqué par Stephan Agosto, illustrateur, également auteur d'un blog sur le 74e RI)

7 oct. 2008

Danse macabre à Courgivaux (I)

Continuons le récit de Fernand Le Bailly avec l'attaque du 36e RI sur Courgivaux dans la nuit du 6 au 7 septembre 1914 (ci-dessus : le sud du village aujourd'hui : le silo marque l'emplacement de la ferme du Bel-Air, en feu lors de ces deux journées. Dans le prolongement du pylône se trouve le cimetière de Courgivaux.)

"A 2 ½ du matin, tout le régiment, par lignes de section, se faufilait dans les bois avoisinant Courgivaux. C'est à ce moment que le capitaine Malfre me fit l'honneur de me demander si je voulais être un de ses hommes de liaison. Il en choisit trois autres parmi ceux qui s'étaient déjà battus. Je devais rester son homme de confiance jusqu'au jour où, à côté de moi, un obus lui fracassa toute la partie gauche du corps. Vers 4 h du matin, les Allemands commencèrent la danse. Ce fut pendant cinq heures une orgie de coups de fusils, de mitrailleuses et d'obus de part et d'autre.
Notre artillerie tirait à 1400 m et nous à 800 m. Puis le capitaine Malfre m'envoya dire aux sections de la compagnie
(Le Bailly appartient à la 6e compagnie, NDLC) de se porter dans la plaine, en tirailleurs. Là, je l'avoue, j'ai hésité quelques secondes, les psss ! psss ! des balles me sifflaient aux oreilles et les tac tac produits par leur arrivée sur les arbres me fit reculer et coucher deux fois ; cette musique étrange accompagnée par les cris des malheureux qui déjà tombaient morts ou blessés, me cloua, je le confesse, en me traitant de poltron intérieurement… j'avais vaincu la peur.
Que ceux qui ont passé par là et qui se targuent de n'avoir jamais ressenti la moindre émotion s'estiment fiers d'eux-mêmes. Personnellement, je demande pardon aux miens de cette faiblesse passagère, sûrs d'avance qu'ils m'ont déjà pardonné puisque… depuis, je le jure, je n'ai jamais faibli !

Ah cette plaine avec sa crête derrière laquelle on apercevait le village, je le reverrai tout le temps que je vivrai.
Tous ces hommes couchés à plat ventre, tirant sans cesse, étaient magnifiques de calme et de sang froid.

Par bonds et par escouades, ils se rapprochaient du village, cependant que les Allemands, à coups de mitrailleuses, de fusils et d'obus, balayaient la dite plaine et semaient la mort dans nos rangs.

Au-dessus de nos têtes, nos 75 arrosaient copieusement l'entrée du village par un tir dit «
de barrage » afin d'empêcher l'ennemi d'en déboucher et je regardais ce spectacle à côté du capitaine Malfre, debout comme lui, au milieu de cette plaine où déjà plus d'un tiers des nôtres restaient en arrière, très surpris de constater que malgré cette pluie d'enfer, il y avait encore moyen de trouver des vides sans se faire tuer.
Quant à mes trois camarades, ils s'étaient tranquillement mis à plat ventre et faisaient du tir rapide. A côté de moi, à mes pieds, un «
poilu » ne cessait de tempêter et pour cause : une balle venait de déchirer littéralement sa gamelle ; un autre voyait son fusil voltiger en l'air sous l'impulsion d'un éclat d'obus ; un autre trouvait qu'on « n'avançait pas assez vite » ."

(A suivre...)

3 oct. 2008

Un anniversaire sous les bombes

Reprenons le fil du témoignage de Fernand Le Bailly ce samedi 5 septembre 1914, à la veille de la bataille de la Marne. Une journée bien spéciale pour mon arrière-grand-père : versé dans le 36e régiment d'infanterie, il vient d'entendre la lecture de l'appel de Joffre, il a vu un soldat fusillé pour pillage, et un bombardement se rapproche... Voici comment ces quelques heures seront par la suite relatées dans son carnet :

"Nous restâmes là quatre heures, sans bouger, blottis dans des trous creusés à la hâte avec nos outils portatifs. Puis… le soir vint, les obus tombaient toujours mais s'éloignaient de nous et c'est alors que dans une pensée rapide je revis tous ceux que j'aime et je me souviens que ce jour là… était mon anniversaire de naissance (le 5/09/1880, NDLC).
En face de nous, un tableau saisissant s'offrait : une quinzaine de villages flambaient ; c'est alors que 16 canons de 75 vinrent se mettre derrière nous, à environ 200 mètres et qu'à raison de 14 coups à la minute chacun… Ils préparèrent l'action que nous devions commencer le lendemain au petit jour sur le village de Courgivaux (en réalité, le 36e attaque Courgivaux le 7 septembre).
Nous fîmes le café et nous nous étendîmes.
Dire que j'ai dormi : non. Dire que j'ai eu peur aux premiers obus : non. Un pincement violent au cœur qui se mit à battre à outrance pendant une minute à peine, telle est la sensation que j'ai ressentie en recevant le baptême des « marmites ».

Il est vrai que le capitaine Malfre nous avait de suite rassurés en se promenant tranquillement au milieu de tous ces éclatements, la cigarette aux lèvres, les mains derrière le dos et quand l'un de nous était inquiet… je l'entends encore «
Mais mon gars, ce n'est rien… ce ne sont que des petits obus, ceux-là ne peuvent qu'à peine te blesser »…"

Au même moment, deux autre régiments de la 5e DI, le 74e régiment d'infanterie et le 129e, sont engagés dans la reprise du village de Courgivaux. Le combat dure la journée entière et reste inscrit au panthéon de la division : la défense des sections de mitrailleuses Thorel et Jougla, du 74e, le petit cimetière transformé en fortin, le tir à bout portant des batteries du 43e régiment d'artillerie de campagne, le général Mangin, selon la légende, faisant le coup de feu pipe à la bouche et bottes cirées... Au soir, le petit bourg reste néanmoins aux mains des Allemands. Le 36e RI est alors jeté dans la fournaise avec l'ordre de s'en emparer.

(Photo : le monument aux morts au centre de la nécropole de Courgivaux, créée en septembre 1914)

26 sept. 2008

La 7e compagnie au clair de lune

Photo panorama : la plaine, au nord des bois de Beaumarais, où se tenait le petit poste de la meule de paille, attaqué par la 7e compagnie le 12 janvier 1915. La ferme de la Renaissance, à gauche, a été construite après guerre.

A peine installé dans les bois de Beaumarais, en décembre 1914, le 36e régiment d'infanterie s'enquiert de l'invisible frontière qui le sépare de son adversaire. Dans le froid, la pluie ou le brouillard, aux premières reconnaissances succèdent d'incessantes patrouilles du no man's land. Cet espace – le "bled" comme l'appelle les combattants – court de la plaine, à l'ouest des bois, aux terres marécageuses au bas du village de Craonne, et va se perdre dans la grande platitude orientale en direction de la Ville-aux-Bois. Plusieurs sites aménagés en poste d'écoute dans cette zone font l'objet d'une constante observation des Allemands comme des Français: les meules de la route de Craonne à Craonnelle, le jardin potager au pied du mont Hermel, les bois de Chevreux et, plus à l'est, la petite bande boisée du Bonnet Persan, au-delà de la route de Corbény.
Et puis il y a le petit poste de la meule de paille, construit par les Allemands 200 m en avant de leurs tranchées, dans un champ en friche, le long de la route de Ville-aux-bois à Chevreux. Cette position avancée s'organise autour d'un gros tas de foin, entouré par une ceinture de barbelés de plusieurs mètres d'épaisseur. Son effectif est estimé à une quinzaine d'hommes. Le 11 janvier, l'ordre tombe de s'en emparer et de l'occuper. C'est la 7e compagnie qui est désignée, le chef de bataillon Craplet souhaitant tester la valeur de ses hommes. Le sous-lieutenent Charles Osmond est chargé de la mission. Ce dernier, comptable à la Société Générale de Saint-Lô dans le civil, parti comme sergent et promu le 2 octobre, est loué par les officiers supérieurs pour son "énergie" et son "calme parfait". Avec le capitaine Le Rasle (déjà évoqué), il met l'opération au point dans ses moindres détails.
Et le 12 janvier, à 2 heures du matin, il s'enfonce dans la nuit accompagné d'une section de 40 hommes. La suite de ce coup de main est racontée par Le Rasle dans son rapport daté du même jour : "(La patrouille) a pu arriver à environ 40 m de la meule sans être éventée. Un sergent et 2 patrouilleurs purent s'avancer jusqu'à quelques mètres et rendre compte que le poste n'était pas couvert par des fils de fer. Le reconnaissance fut éventée à ce moment, et le poste ennemi ouvrit un feu assez nourri qui, heureusement, était dirigé un peu à gauche de la section. Le sous-lieutenant Osmond fit mettre baïonnette au canon pour s'élancer sur le poste. Au bruit que l'ennemi entendit sur sa gauche, le poste allemand s'enfuit en se dispersant au galop dans la direction du bois de Chevreux (ils étaient une douzaine). La section, occupa immédiatement l'emplacement et commença à aménager le fossé de la route et quelques trous de tirailleurs existant." Après avoir laissé en poste un sergent et douze hommes, la section du sous-lieutenant Osmond revient dans les bois de Beaumarais. Puis, dans les jours qui suivent cette petite incursion, des travaux d'aménagement sont entrepris. Une sape, longue de 200 m, conduisant au petit poste est creusée par les Français, et une occupation du poste "sans dicontinuer" est décidée. Enfin, Charles Osmond est cité à l'ordre du jour et a même droit aux honneurs de la presse, sous la forme d'un entrefilet dans Le Moniteur du Calavdos, qui paraît dans la semaine du 4 au 11 février 1915 !

A lire sur ce blog, la mort de Charles Osmond

23 sept. 2008

Au-delà du Styx

Photo : le monument aux morts et l'église de Neuville-Saint-Vaast. Merci à Thierry Cornet qui a rendu cette photo possible.

En dépassant les portes de Neuville-Saint-Vaast, dans la nuit du 25 au 26 mai, le 36e régiment d'infanterie franchit les rives du Styx. Depuis dix-sept jours, alors que Joffre a donné le coup d'envoi d'une deuxième offensive dans l'Artois, le nord d'Arras est devenu une antichambre de l'enfer. Accrochée aux pentes de la crête de Vimy, l'armée française du général d'Urbal se brise en ressacs sanglants contre la ligne allemande. A l'inverse, elle doit, dès le 22 mai, repousser de sanglantes contre-attaques. Dans le secteur sud, cette ligne de feu ininterrompue est particulièrement violente aux points d'appui organisés par les Allemands. Des "Ouvrages Blancs", dans la plaine, face à Mont-Saint-Eloi, jusqu'au "Labyrinthe", vaste zone équipée d'abris bétonnés, de casemates et de nids de mitrailleuses, c'est un ouragan de feu ininterrompu. La 10e brigade, qui comprend le 36e et le 129e, est est chargée "d'assurer l'inviolabilité du front qui lui est confié et de poursuivre l'aménagement du secteur en vue d'attaques prochaines."
A quoi ressemblait Neuville-Saint-Vaast à la veille de cette attaque ? Quelques textes témoignent du degré de sophistication de sa défense. Dans un article paru le 12 juin 1915 dans la revue L'illustration, intitulé "La défensive allemande", le journaliste rapporte qu'en Artois "les tranchées et les boyaux de communication sont très profonds et très étroits. (...) Les maisons des villages sont organisées spécialement pour la défense pied à pied. (...). Les murs de clôture, les haies masquent des tranchées, défendues en avant par des défenses accessoires formidables. Des canons, des obusiers, des minenwerfer sont placés aux points intéressants. Les maisons sont percées et reliées les unes aux autres soit par des boyaux, soit par des cheminements défilés. De distance en distance se trouvent des caisses de grenades et de pétards, régulièrement réparties le long des tranchées ou des boyaux." Une note de l'état-major du 3e corps d'armée, datée du 24 juin, trouvée dans les rapports d'opérations du 3e bureau, complète cette description en indiquant qu'à l'intérieur de Neuville-Saint-Vaast, dont la rue principale était doublée par une voie ferrée de 0,60 m, les Allemands avaient organisé un fortin doté de plusieurs abris, dont un creusé à 3 m au-dessous du sol. Un grand nombre de caves de maisons individuelles étaient étayées, certaines étant pourvues d'un coffrage en planche. Elles étaient également équipées en plusieurs points d'emplacements pour mitrailleuses tirant par des soupiraux situés légèrement au-dessus du sol. Au rez-de-chaussée, ces caves étaient protégées par un matelas protecteur composé de matériaux de démolition, de sacs à terre, de madriers, et, parfois, d'un bétonnage. Certaines de ces cavités, occupées par une même unité ou un même service, étaient reliées entre elles.
C'est donc à l'assaut d'une forteresse bourrée de pièges et de chausses-trappes que le 36e RI s'élance le 26 mai au petit matin.

17 sept. 2008

"En avant Normandie !"

Légende de la photo dans l’album de Fernand Le Bailly :"Notre tranchée de 1ère ligne. Cavaliers de Courcy, décembre 1914."

Dans l'interminable plaine champenoise et sur les cavaliers de Courcy, pendant l'hiver 1914-1915, les patrouilles du 36e régiment d'infanterie se succèdent afin de reconnaître les positions de l'ennemi. Certaines reconnaissances, comme celle du lieutenant Le Rasle (évoqué ici), se terminent tragiquement. La plupart connaissent toutefois une issue heureuse. Ont-elles inspiré Roland Dorgelès, mitrailleur au 39e RI (qui est lui aussi passé par ces mêmes lieux), au moment de la rédaction des Croix de bois ? Voici une scène du roman pour s'en convaincre.


"Tac ! Un coup de feu claque sec, venant des lignes boches. Puis un autre, aussitôt… Les hommes qui rêvassaient à leur créneau se sont brusquement redressés. Nous écoutons, anxieux. Un instant se passe, puis quelques coups de feu partent à la débandade, et la fusillade gagne en crépitant.
— Ils tirent sur la patrouille !
Une fusée ennemie tire son trait blanc et éclate. Une autre siffle à droite, puis à gauche, et leurs yeux fulgurants, balancés par le vent, épient la plaine réveillée. Rien n’y bouge, les nôtres sont planqués. Face à nous, toute la ligne allemande tire : les balles miaulent au-dessus de la tranchée, très bas, et plusieurs claquent sur le parapet, comme des coups de fouet. Dans ce bruit de fusillade, le crépitement régulier d’une mitrailleuse domine, exaspérant. Gare ! une fusée verte ! les Boches demandent l’artillerie. Nous attendons, un peu plus courbés derrière nos créneaux. Cinq coups éclatent, en gerbes rouges, cinq shrapnells bien en ligne. Leur lueur soudaine éclaire les dos ronds et les têtes qui s’enfoncent. Dans la plaine, dispersés, des obus éclatent, percutants et fusants. Quelques minutes de fracas et, sans raison, tout se tait ; le canon a passé sa colère. La fusillade aussi s’est arrêtée.
— Faites passer, ne tirez pas… La patrouille est dehors, commande une voix.
— Faites passer, ne tirez pas.
Le commandement arrive, passe, s’éloigne. Nous guettons, nous écoutons… Clac ! À quelques pas, un coup de feu brise le silence. Mais il est fou, celui-là ? Clac ! Encore un…
— Ne tirez pas, bon Dieu ! crie le sergent Berthier qui est sorti de son gourbi. C’est la patrouille qui rentre.
Au même instant j’entends dans les ténèbres une voix qui grelotte. On dirait qu’on chante… Mais oui, c’est une chanson :

Je veux revoir ma Normandie…

Derrière moi, Fouillard rit. Et je ris aussi malgré moi, le cœur serré. C’est tragique et burlesque cette romance bredouillée dans le noir. La voix se rapproche et cesse de chanter :
— Ne tirez pas… Verneau, de la quatrième… Patrouille. !
Mais un autre, plus loin, a repris le refrain, d’une voix étouffée :

ma Normandie,
C’est le pays qui m a donné le jour…

Plus loin encore, on en entend un troisième qui siffle, perdu dans les champs d’ombre :

En avant la Normandie !

Partout, dans les champs noirs, on entend les voix assourdies qui fredonnent et des sifflotements peureux, au ras des champs. C’est comme un retour de foire, saisissant et bouffon. Pour se garder d’une ruse des Allemands, qui peuvent avoir surpris le mot, on a ordonné aux patrouilles de chanter des airs du pays, pour se faire reconnaître. Et rampant dans les betteraves dures, se traînant, ils chantent. Leurs voix étranglées rôdent, de l’autre côté de la broussaille barbelée ; ils cherchent la chicane…"
(Les Croix de Bois, Roland Dorgelès, 1964)

11 sept. 2008

Les deux guerres de Fernand Mathias

Quelques jours avant la contre-offensive générale du 18 juillet 1918, le 36e régiment d'infanterie exécute une opération couronnée de succès près d'Antheuil, dans l'Oise. Voici un petit texte transposé des souvenirs laissés par Fernand Mathias, adjudant-chef au 36e, qui a participé à cet engagement. Merci à Ghislaine Mathias et à la famille de Fernand Mathias pour leurs informations (Photos DR).

9 juillet 1968 - "Politique étrangère encore, 43 morts, 67 blessés, tel est ce bilan du bombardement de Suez effectué hier par l'artillerie israélienne..." La voix de Jacqueline Baudrier soliloque depuis quelques minutes à l'antenne de France Inter. Fernand Mathias ne l'écoute plus. Les yeux bleu-gris perdus dans le vague, l'homme s'abandonne aux images et à ses souvenirs qui reviennent invariablement pour ce jour anniversaire.
9 juillet 1968-9 juillet 1918. Il y a cinquante ans, pratiquement heure pour heure, alors qu'il était au 36e régiment d'infanterie, il était évacué d'Antheuil, dans l'Oise, le cou et le poumon perforés par une balle. Cinquante ans ! Un demi-siècle exactement. Que de chemin parcouru depuis sa mobilisation, en août 14, au 24e régiment d'infanterie. Un mois plus tard, il avait été blessé à Loivre d'une balle au pied. Soigné, il était venu regonfler les effectifs du 36e RI, en novembre 1915, décimé par les combats dans Neuville-saint-Vaast.
Cinquante ans. Comme chaque année, ses premières pensées retournaient immuablement vers ses camarades disparus sur les champs de bataille de Verdun, dans l'Aisne, dans les Flandres... Et vers cet étrange plateau lunaire, bordé par l'Aronde, où il avait échappé à la mort plus d'une fois lors de cet été 1918. Le 36e était arrivé le 10 juin dans ce secteur. Il revenait du mont Kemmel, en Belgique, le moral à l'étiage. En retrait de l'offensive Mangin, le régiment était resté vers Gournay, en bordure des marais, où le mot d'ordre était de "tenir et durer". Mais vers la fin du mois, les opérations et coups de main avaient repris. Le 22, Fernand avait facilité une incursion sur un PC allemand en attirant sur lui les feux de l'ennemi. Il y avait gagné une citation à l'ordre de la division. Et le 9 juillet, il avait récidivé en entraînant sa section à l'assaut de la ferme des Loges. On était loin des combats de 1914 la fleur au fusil ! Il fallait voir le matériel réuni : tanks, grenades incendiaires, avions, lance-flammes... En pleine nuit, une fois l'orage passé, ils avaient couru vers la ferme des Loges et l'avaient enflammée. Puis ils s'étaient battus, pratiquement au corps à corps, contre les ennemis organisés dans les talus du chemin creux. Fernand avait été blessé à ce moment-là. Soigné à Angoulême, il était revenu dans son régiment début août et avait participé à la "poursuite finale".
A la démobilisation, après sept années sous les drapeaux, Fernand avait retrouvé une activité dans les chemins de fer dans la région rouennaise. Il aurait pu, comme beaucoup, se sentir écrasé par ces années de souvenirs sanglants. Il n'en avait rien été. Cette guerre se terminait. Une nouvelle démarrait, cette fois pour son village normand, Alizay, dans l'Eure. Il s'était distingué, là encore, par quelques "hauts faits" : ses trois mandats de maire (1953, 1959 et 1965), l'extension industrielle du bourg après la Seconde Guerre mondiale, la sérénité retrouvée de ses habitants, l'implantation de la Société industrielle de cellulose en 1954, la visite de Nikita Khroutchev... Et puis il y a avait sa femme Augustine, qui avait été sa "marraine de guerre" : le 19 octobre prochain, presque un mois avant le cinquantenaire de l'armistice, ils allaient fêter leur jubilé de vie commune. Décidément, la fin de cette année allait être chargée !

25 août 2008

RIP Henri Bornot, chanoine du 36e

Si vous passez près de l'abbaye de Pontigny, dans l'Yonne, profitez en pour vous arrêter au petit cimetière de Montigny-la-Resle. Le chanoine Henri Bornot, aumônier du 36e, y est enterré. Sa tombe, bordée par un tapis de bergénias, est reconnaissable à sa croix de guerre et sa légion d'honneur, noircis par le temps. Sur la pierre, une simple inscription : "Abbé H. Bornot, chanoine honoraire, ancien aumônier militaire 1862-1947". La guerre paraît bien loin de ce petit village tranquille, en bordure du Chablisien. Elle n'est pourtant pas si éloignée que cela, à en juger par le monument aux morts de la guerre de 1870 et celui de la Grande Guerre, surmonté de sa victoire, bardé de noms tombés au "Champ d'Honneur". A proximité du bourg, il y a aussi les bois de Saint-Germain, un massif typique de l'Yonne, des "bois profonds et envahisseurs, qui moutonnent et ondulent jusque là-bas, aussi loin qu'on peut voir" (Colette). Des bois qui rappellent ceux de Beaumarais, à 200 km plus au nord, et qu'a connus Henri Bornot en 1915.

27 juin 2008

La mémoire d'Adrien

Voici un petit texte extrapolé à partir des documents laissés par Adrien Perrier, soldat au 36e régiment d'infanterie, et des souvenirs transmis par ses enfants et rassemblés par Marie-France Fournier et Sébastien Cliville, arrière-petit-fils d'Adrien. Merci à eux.

11 janvier 1915 - "Atout à pique" ! Dans les tranchées de première ligne du bois de Beaumarais, le soldat Adrien Perrier regarde les hommes jouer aux cartes sous leur toile de tente. Cela fait deux heures qu'ils trompent leur ennui, les pieds dans l'eau, dans leur gourbi et enchaînent les parties de manille. Certains lisent, d'autres dorment. Adrien, pour sa part, préfère rester à l'écart et griffonner des petits dessins sur des écorces argentées de bouleaux au format carte postale (ci-contre, en médaillon Adrien Perrier), comme il avait appris enfant. Ces esquisses, il les envoie à ses filles - Yvonne, 7 ans, Odette, 5 ans, Fernande, 4 ans, et Denise, huit mois, trop petite évidemment pour se rendre compte.
Déjà quatre semaines que son régiment stationne dans les bois de Beaumarais. La guerre est loin : au nord, vers Ypres, Dixmude, à l'est, en Champagne. Adrien y a échappé jusqu'à présent. Et pourtant, que de bouleversements pour lui, simple employé d'octroi ! Une fois laissée sa famille à Lisieux, dans l'interminable rue du Grand-Jardin, il s'était présenté le onzième jour de la mobilisation comme l'y engageait son livret militaire, à la caserne Delaunay. Et les jours interminables, lourds de menaces et d'espoirs absurdes, s'étaient égrenés... Adrienne, son épouse, était passée quelquefois pour lui parler. Elle lui avait rapporté les plus folles rumeurs. La déroute en Belgique, les convois de blessés arrivant par steamer dès la fin août à Caen, la victoire sur la Marne, les premiers morts... Par chance, il avait échappé à tous ces combats.
Mais le 26 septembre, il avait fallu faire son paquetage et partir par le train. Avec ses camarades, ils avaient roulé toute la nuit dans des wagons à bestiaux. Et dès leur arrivée au sud de Reims, ils avaient repris les routes, cette fois jusqu'à la plaine de Courcy, en grand troupeau d'hommes fatigués. Ils étaient le renfort qui venait regonfler des bataillons exsangues. Leur arrivée coïncidait avec la fin des combats sous le fort de Brimont. L'attaque de la route nationale 44, l'enterrement dans la plaine, les villages boueux et noirs, les longues nuits de novembre dans les champs dévastés avec leurs meules incendiés... Adrien avait connu tout cela. Et cette drôle de guerre où l'on s'enterre et l'on attend... Le 11 décembre, le régiment était une nouvelle fois reparti à pied pour venir s'enterrer dans ces bois humides. A tout prendre, Adrien préférait ce nouveau secteur. Il aimait ces coteaux arrondis, cette vallée à grand prolongement baignée généreusement par l'Aisne. Pour un peu, avec des champs de betteraves remplacés par des pacages, ce paysage ressemblait à sa campagne augeronne !
(À suivre...)

26 juin 2008

Le chagrin et l'amitié

Légende de la photo dans l’album de Fernand Le Bailly : "Tombe de Roquet à Concevreux". A droite de Fernand Le Bailly, une autre tombe : celle du servant Henri Tarlier, du 5e régiment d'artillerie à pied, tué le 9 janvier 1915, à Ventelay, 24 heures avant Alexis Roquet. En médaillon, l'annonce de la mort de Roquet dans L'Eclaireur du Calvados du 4 février 1915.

Refermons la page du mois de janvier 1915 au 36e RI - un mois riche en événements et anecdotes dans les bois de Beaumarais -, par la mort du sergent major Alexis Roquet, natif de Caen. Celle-intervient le 10 janvier 1915 à Chaudardes. Elle est mentionnée par le JMO du régiment d'une façon très elliptique: "Bombardement par une pièce de 77, 30 obus. Un sous-officier blessé (Alexis Roquet), un soldat tué (Georges Leboucher, originaire de Saint-Sever-Calvados) tous les deux par surprise."
Cette disparition cause pourtant une réelle émotion à lire la presse du Calvados de l'époque. Deux périodiques, Le Bonhomme Normand ("hebdomadaire et spécial des événements, bruits et nouvelles de l'Orne") et L'Eclaireur du Calvados (hebdomadaire du jeudi), la signalent dans leurs colonnes par un encart. Mais cette mort affecte aussi les camarades de Roquet, dont faisait sans doute partie mon arrière-grand-père. Dans son album photos, le sergent major figure ainsi dans deux clichés pris dans la petite cité ouvrière de la Neuvillette, près de Courcy, et dans un gourbi des bois de Beaumarais.
Quelques semaines après la mort d'Alexis Roquet, Fernand Le Bailly ira s'incliner sur la tombe du soldat. La photo, prise par un camarade, le montre au bord d'une route, sous une lumière de fin d'hiver, le regard au sol devant la tombe, visiblement ému. "La mort n'annulait rien en effet. Au contraire. Celle du camarade le plus proche ouvrait une blessure inguérissable, à laquelle seule convenait le silence." (La Vie quotidienne des soldats dans la Grande Guerre, Jacques Meyer, Hachette, 1966). Derrière mon arrière-grand-père, une plaine étrangement vide, comme une vague menaçante...