Pourquoi ce blog et comment le lire ?

Cette page, qui n'a pas la prétention d'être exhaustive, est un hommage rendu aux hommes du 36e régiment d'infanterie que mon arrière-grand-père, Fernand Le Bailly, a côtoyés, parfois photographiés pendant la Première Guerre mondiale. Elle souhaite conserver et transmettre leur souvenir. Elle est conçue à partir de témoignages, d'écrits et d'archives personnels qui m'ont été envoyés, en partie par des descendants de soldats du 36e. Elle est aussi un prétexte pour aller à la rencontre d'"invités" – historiens, passionnés de la Grande Guerre, élus, écrivains... – qui nous font redécouvrir aujourd'hui ce titanesque conflit. Elle est enfin un argument pour découvrir tous les prolongements de ce gigantesque conflit dans le monde d'aujourd'hui.
Comment consulter cette page ? Vous pouvez lire progressivement les messages, qui ne respectent pas un ordre chronologique (ils évoquent, par exemple, l'année 1915 ou 1914). Vous pouvez aussi avoir envie de vous attarder sur une année ou un secteur géographique : pour cela, cliquez dans la colonne à gauche dans la rubrique "Pages d'histoire du 36e" sur la période et le lieu qui vous intéressent. Tous les messages seront alors rassemblés pour vous selon l'ordre de publication.
Comment rentrer en contact ? Pour de plus amples renseignements sur ce site, ou me faire parvenir une copie de vos documents, vos souvenirs ou remarques, écrivez-moi. Mon adresse : jerome.verroust@gmail.com. Je vous souhaite une agréable lecture.

Avertissement : Si pour une raison quelconque, un ayant-droit d'une des personnes référencées sur ce site désire le retrait de la (les) photo(s) et des informations qui l'accompagnent, qu'il me contacte.

28 nov. 2007

Scènes de la vie martiale (suite et fin)

Par une cruelle ironie, au moment de ces dramatiques événements, paraît l'ordre du jour du généralissime Joffre. Les mots du chef d'état major, rédigés le 5 septembre, ont été apportés aux officiers et remis en mains propres. Ils sont restés célèbres : "Au moment où s'engage une bataille dont dépend le sort du pays, il importe de rappeler à tous que le moment n'est plus de regarder en arrière. Tous les efforts doivent être employés à attaquer et à refouler l'ennemi. Une troupe qui ne peut plus avancer devra, coûte que coûte, garder le terrain conquis et se faire tuer sur place plutôt que de reculer. Dans les circonstances actuelles, aucune défaillance ne peut être tolérée." Cette déclaration liminaire, lue par le chef de bataillon Navel (qui sera fait prisonnier au château de Brimont onze jours plus tard. Retrouvez le récit de cet épisode sur ce blog) et qui officialise le commencement de la bataille de la Marne, est écoutée par les hommes du 36e dans le fracas de la bataille, comme en témoigne Fernand Le Bailly dans sa carnet.

Le 36e n'est pas pour autant versé immédiatement dans la colossale bataille. En réserve le 6 septembre, ce sont les deux régiments "jumeaux" de la 5e division, le 74e et le 129e, qui sont engagés dans la reprise du village de Courgivaux, à 10 km plus au nord. Les hommes du 36e ne se reposent pas pour autant. Rassemblés le matin au nord de Fontaine-sous-Montaiguillon, ils progressent vers le nord tout au long de cette journée torride sous des bombardements intermittents : ils passent au sud-ouest d'Escardes dans la soirée, et poussent des postes dans les bois entre Saint-Bon et Courgivaux, pendant que le village fait l'objet d'une lutte acharnée. Au soir, le petit bourg demeure aux mains des Allemands et le 36e est chargé de le reprendre le lendemain.
Aux dires des quelques témoignages, les hommes sont soulagés de reprendre l'offensive. Ils en ont assez de battre en retraite. De plus, cet ordre annonce l'arrêt de la marche forcée qui les épuise depuis deux semaines. "Tout plutôt que continuer à marcher sans arrêt", diront certains. Et pour bon nombre de Parisiens, qui composent aussi le régiment, cette décision signifie aussi défendre leurs familles, leurs maisons et leur ville...

Si vous longez la Marne, arrêtez-vous au Mémorial de Dormans, qui commémore les deux batailles de la Marne. Ou allez voir le site à cette adresse pour en savoir un peu plus sur les acteurs et les lieux de ces batailles : http://memorialdormans.free.fr/


22 nov. 2007

Scènes de la vie martiale (I)

Samedi 5 septembre 1914. En pleine nuit, les plaines du Provinois sont un paysage d'apocalypse. Sur plusieurs kilomètres, le long des champs fraîchement moissonés, des colonnes de réfugiés fuient la zone de combat dont le grondement s'amplifie d'heure en heure. Fernand Le Bailly, qui remonte cette cohue avec son contingent, raconte :


Plus loin, les villages de Montceaux-les-Provins, Courgivaux, Esternay, Retourneloup, Châtillon-sur-Morin sont en feu. Dans l'obscurité, près du petit village de Fontaine-sous-Montaiguillon, le contingent vient regonfler les effectifs exsangues du 36e. Le sergent Gruchy, avec qui Le Bailly s'accorde bien, passe dans la 8ème compagnie ; son autre camarade, Apère, et lui-même sont versés dans la 6ème, commandée par le sergent Lhostis, natif du Hâvre. Pour la première fois, mon arrière-grand-père découvre les soldats du régiment normand :


Dire que les hommes sont fatigués est un doux euphémisme... Depuis 15 jours, ils se sont battus à Charleroi, puis à Guise, et ont parcouru 200 km pour échapper aux Allemands qui les talonnent. En deux semaines, l'unité a connu une saignée inimaginable touchant aussi bien les soldats que les officiers. Selon l'historique régimentaire "le régiment n'a plus que 1 300 hommes" (en 1914, un régiment compte en moyenne un peu plus de 3 000 hommes), un chiffre certainement en dessous de la réalité. Beaucoup ont perdu un camarade, voire un ami. Le moral à l'étiage, sales, déguenillés, ils souffrent de plus de la soif et de la faim. Depuis plusieurs jours, ces hommes n'ont en effet rien mangé, sinon quelques pommes le long des chemins. Pour calmer cet appétit, certains fouillent les maisons laissées à l'abandon. La répression s'abat sur eux férocement comme le raconte Fernand Le Bailly dans son carnet pour cette même journée.

(La suite à lire ici)

Pour lire un autre point de vue sur cette exécution, lire ici les mémoires de Jules Champin, un autre soldat du 36e RI. Nota : les citations qui accompagnent ce texte sont extraites du "carnet de guerre", écrit par Fernand Le Bailly dans les tranchées du bois de Beaumarais, en décembre 1915, et qui portent sur la bataille de la Marne et les combats sous le fort de Brimont.


18 nov. 2007

Fernand Le Bailly, de l'opale au fusil

Légende accompagnant cette photo dans l'album
de Fernand Le Bailly : "FL au
129e d'infrie. Le Havre, 1901."
De nombreuses photos de ce blog émanent de l'album photos de mon arrière-grand-père, Fernand Le Bailly. Mais qui est cet homme et comment s'est-il retrouvé dans les rangs du 36e ? Né le 5 septembre 1880, dans le petit bourg du Calvados de Saint-Pierre-sur-Dives, Fernand le Bailly est issu d'une famille normande qui compte une fille (Louise) et cinq garçons (Raymond, Henri, Maurice, René et Fernand). Comptable de profession, il fonde au début du siècle avec son frère René, au Canada, une affaire The European Company - sous forme de société de famille par actions - spécialisée dans l’importation de pierres précieuses et imitation, en provenance d’Idar-Oberstein, en Allemagne. Après quelques atermoiements, l’entreprise est florissante. Son commerce s’étend même progressivement vers l’ouest des Etats-Unis, notamment grâce aux Chinois qui raffolent des opales. Heureux en affaires, Fernand Le Bailly l'est également en famille : en 1903, il épouse Simone Lavigne, avec laquelle il a deux enfants : Suzanne et Jean.
Mais la guerre éclate…
A la publication du décret de mobilisation, le 1er août 1914, chaque garçon de la famille est appelé sous les drapeaux, à l'exception de René, à moitié aveugle d’un œil. Quant à Fernand, en voyage d'affaires à Vancouver, il est obligé de repousser son appel, le temps pour lui de rallier la France. Il traverse les Etats-Unis et l’Atlantique le voyage dure vingt-sept jours et rejoint son régiment d'affectation, le 129e régiment d’infanterie à la caserne Kléber, au Havre. L'arrivée en France est funèbre. A la sortie du bateau, Fernand apprend que Raymond a été tué quelques jours plus tôt à Charleroi, en Belgique, et que les armées allemandes menacent d'envelopper les armées françaises. Le 3 septembre 1914, son contingent, fort de 600 hommes, « 'moelleusement' installé dans un train de marchandise »*, est acheminé jusqu'à Nogent-sur-Marne. En route, il lie plus amplement connaissance avec deux Normands : le sergent Gruchy et Apère. A pied, il sont envoyés en Seine-et-Marne, où ils rattrapent les restes du 36e régiment d'infanterie, exsangue après les premières batailles d'août 1914. Nous sommes alors le 4 septembre 1914. Dans quelques heures, les trois coups de la bataille de la Marne vont résonner...

* Cette citation est extraite du "carnet de guerre", écrit par Fernand Le Bailly dans les tranchées du bois de Beaumarais, en décembre 1915, et qui porte sur la bataille de la Marne et les combats sous le fort de Brimont.

2 nov. 2007

La "guerre totale" en toile de fond

Il serait difficile de tourner la page du mois de septembre 1914 pour le 36e sans mentionner le bombardement de la ville et de la cathédrale de Reims. Jusqu'en décembre 1914, date à laquelle le régiment part pour les bois de Beaumarais, la destruction de l'agglomération par les Allemands a fait partie du "paysage" des hommes du 36, qui étaient stationnés à 5 km du centre-ville, entre la Neuvillette et Saint-Thierry.
Le marmitage démarre dès le 4 septembre, alors même que la bataille de la Marne n'est pas commencée (le 36e est alors à 45 km au sud de Reims, près de Fromentières). Pour cette seule journée, on compte plus de 49 tués et 130 blessés civils, et la grande galerie de peinture du musée est ravagée. Puis, pendant une semaine - la "semaine allemande" - Reims est occupée par les troupes du Kronprinz, et épargnée. Le 12 septembre, talonnées par les Français, les Allemands évacuent la ville tout en la maintenant sous le feu des forts de Brimont, du fort de Fresne, du fort de Witry-lès-Reims, de la vigie de Berru et du fort de Nogent-l'Abesse. Le 14 septembre, la canonnade reprend, parfois à coups d'obus incendiaires. Le 36e est alors bien occupé dans l'attaque de la Verrerie et du château de Brimont (à suivre bientôt) pour s'en émouvoir...
Dans le centre ville toutefois, les incendies ne tardent pas à apparaître. Les abords de la cathédrale sont particulièrement pilonnés. Le samedi 19 septembre, un obus enflamme les échafaudages qui encerclent la tour nord-ouest de l'édifice en réparation depuis 1913. En quelques heures, le feu gagne toute la "forêt", et se communique au toit. En fondant, le plomb embrase à son tour la paille qui a été disposée dans la nef, où a été regroupée une centaine de blessés allemands... Au soir, le brasier dégage d'énormes tourbillons de fumée jaune qui se voient à des kilomètres. Partout, des foyers nouveaux s'allument et des pâtés de maisons se consument. Le lendemain, le bombardement continue avec la même violence.
Ce "spectacle" de guerre totale, les soldats le contemplent du fond de leur tranchée. Pourtant, la destruction de la cathédrale est à peine mentionnée dans les témoignages, sinon d'écrivains ou d'intellectuels. Dans les lettres, on trouve tout au plus quelques allusions. Il ne faut pas en conclure pour autant à une forme d'indifférence. Lors de ces journées, les soldats s'enterrent et se protègent tant bien que mal du feu de l'ennemi. En témoigne le Journal de marche et d'opérations du 36e. Du 19 au 24 septembre, celui-ci mentionne laconiquement que le régiment adopte "une formation diluée pendant le jour pour échapper au feu de l'artillerie ennemie qui bombarde Saint-Thierry, Merfy et ses environs." Les jours suivants, le 36e relève le 39e. Et la 11e compagnie est chargée d'aller déblayer la route nationale où les Allemands se sont établis. Pendant ce temps, le bombardement de Reims continue... Au 1er novembre, le nombre des habitants tués par les obus est déjà de 282.

A lire également sur cet épisode, le témoignage de Jules Champin, soldat du 36e, et un extrait des mémoires, écrites après la Grande Guerre, de Paul Hess, fonctionnaire au Mont-de-piété de Reims, publiées dans le livre : "La vie à Reims pendant la Guerre de 1914/1918", sur le site de l'association "La cavalerie dans la bataille de la Marne". (Photos DR)